MARCH 1, 2017

Facteurs de protection pour le maintien d'un exercice de qualité

Par la Direction de l'amélioration de l'exercice
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De 2001 à 2015, plus de 2 500 visites d’inspection professionnelle individuelles ont été réalisées afin d’évaluer la qualité de la pratique de médecins exerçant en cabinet ou en établissement. À la suite d’une visite d’inspection, l’inspecteur fait rapport au comité d’inspection professionnelle (CIP) qui décide alors, à la lumière de ce rapport, des actions à entreprendre quant à l’exercice professionnel du médecin visité. La figure suivante illustre les quatre niveaux d’interventions possibles à la suite d’une visite d’inspection. Les médecins qui, à la suite de la visite d’inspection, obtiennent un niveau d’intervention 0 ou 1 sont considérés comme ayant une pratique satisfaisante, alors que ceux qui se voient attribuer un niveau d’intervention 2 ou 3 sont considérés comme ayant une pratique non satisfaisante. 

Les facteurs de risque potentiels

Au printemps 2014, la Direction de l’amélioration de l’exercice (DAE) a analysé plus de 2 000 visites d’inspection professionnelle réalisées de 2001 à 2013 afin d’identifier les facteurs de risque pouvant mener à une pratique jugée non satisfaisante. Les facteurs considérés dans cette première analyse étaient ceux que l’on retrouve généralement dans la littérature scientifique [1-5], soit l’âge, le sexe, le pays d’obtention du diplôme, le développement professionnel continu (DPC), la tenue de dossiers, la spécialité et le nombre d’heures de pratique en établissement. Les résultats de notre étude ont été présentés à la Conférence d’Ottawa en 2014; hormis la spécialité et le nombre d’heures de pratique en établissement, tous les facteurs se sont avérés significatifs dans le modèle de régression logistique multivariée, où la variable dépendante était le niveau d’intervention de la visite classé en deux catégories : pratique satisfaisante (niveau 0 ou 1) ou non satisfaisante (niveau 2 ou 3).

À l’automne 2016, le modèle a été mis à jour et bonifié. D’abord, la période d’analyse a été modifiée, couvrant maintenant la période 2006-2015. L’actualisation de la base de données a consisté non seulement à y ajouter les visites d’inspection des deux dernières années, mais également à éliminer les visites antérieures à 2006, le processus et les programmes d’inspection ayant changé de façon importante au milieu des années 2000. De plus, les visites de contrôle d’un même médecin, qui avaient été incluses dans le premier modèle, ont été éliminées dans cette nouvelle analyse. La variable « pratique solo » a également été ajoutée comme facteur de risque potentiel, cette variable étant reconnue comme un facteur de risque important au regard de la performance clinique des médecins [3, 6-8]. Pour être considéré comme travaillant en solo, un médecin doit exercer seul dans un cabinet privé ou être le seul médecin de sa spécialité dans un établissement de santé. La prise en compte de ces considérations a fait en sorte qu’au total 1 142 visites d’inspection ont pu être analysées, avec un niveau d’intervention 2 ou 3 (pratique non satisfaisante) pour 46 % d’entre elles.

Ce pourcentage peut paraître élevé, mais il découle du fait que les visites d’inspection ne sont pas faites au hasard, les médecins visités étant sélectionnés au moyen de programmes d’inspection (p. ex. : signalement, sur demande d’un syndic-adjoint, médecins de 70 ans et plus). Ces programmes ont été développés à la suite d’une étude [9] réalisée en 1997 par la DAE auprès d’une centaine de médecins de famille sélectionnés de façon aléatoire dans la région de Montréal. Cette étude avait permis d’estimer à 6 % le pourcentage de médecins dont la performance clinique était non satisfaisante au regard des quatre critères de qualité retenus pour l’étude (plan d’investigation, diagnostic, plan de traitement et pertinence des soins). Des résultats similaires avaient aussi été observés ailleurs au Canada [10-12], les pourcentages variant entre 5 % et 10 % selon les critères de qualité considérés. Dès lors, il était apparu évident qu’il fallait concentrer nos efforts de dépistage sur ce faible pourcentage de médecins ayant des lacunes dans la qualité de leur exercice. C’est donc au moyen des programmes d’inspection que la DAE a réussi à accroître l’efficience de ses interventions.

Mais revenons à notre étude réalisée à l’automne 2016. La première étape de l’analyse consistait à tester individuellement le pouvoir de prédiction de chacun des facteurs de risque potentiels. Au cours de cette première étape, les interactions possibles entre les différents facteurs de risque ont également été testées, en particulier celles entre l’âge et le sexe. Parmi l’ensemble des variables considérées, seule la spécialité du médecin (1 = médecine de famille; 0 = autre spécialité) s’est révélée non significative.

Les facteurs de risque significatifs

Tous les facteurs qui s’étaient avérés significatifs à la première étape ont été introduits dans le modèle final pour effectuer une analyse de régression logistique multivariée. Une variable représentant l’identité de l’inspecteur ayant fait la visite d’inspection a également été ajoutée au modèle pour vérifier la possibilité d’un « effet inspecteur ». Le tableau 1 présente les six facteurs qui ont obtenu un rapport de cotes significatif (valeur p < 0,05) lors de cette dernière étape. Le lien significatif qui avait été observé, lors des analyses univariées, entre le nombre d’heures de pratique en établissement et le résultat de la visite d’inspection, disparaît lorsqu’on introduit les autres facteurs dans le modèle (mesure « ajustée »). À l’instar des résultats obtenus en 2014, l’étude de 2016 n’a révélé aucun « effet inspecteur » significatif.

Il s’avère que le principal facteur de risque est une tenue de dossiers non satisfaisante, avec un rapport de cotes de 8,4. Afin de faciliter l’interprétation des résultats, le rapport de cotes de chacun des facteurs de risque significatifs a été converti en risque relatif. En tenant compte de la prévalence de visites non satisfaisantes chez les médecins ayant une bonne cote de tenue de dossiers (19,8 %), comme l’exige la formule de conversion, on obtient un risque relatif de 3,4 pour le facteur « tenue de dossiers ». Ainsi, le modèle basé sur les 1 142 visites d’inspection réalisées de 2006 à 2015 nous permet de conclure qu’une bonne tenue de dossiers pourrait réduire la probabilité d’avoir une visite d’inspection non satisfaisante par un facteur de 3,4, tous les autres facteurs étant égaux par ailleurs. On peut interpréter de la même façon le risque relatif associé à chacun des facteurs de risque (dernière colonne du tableau).

Comme le démontre le graphique 1, chaque facteur de risque additionnel augmente la probabilité d’une visite d’inspection non satisfaisante. Ainsi, parmi les 1 142 visites d’inspection effectuées au cours des années 2006 à 2015, 65 médecins inspectés ne présentaient aucun des six facteurs de risque, et pour 91 % d’entre elles (c’étaient toutes des femmes, le sexe masculin étant un des facteurs de risque du modèle) le CIP avait recommandé un niveau d’intervention 0 (lettre de satisfaction) ou 1 (lettre de recommandations). En contrepartie, les neuf médecins présentant tous les facteurs de risque ont eu une visite d’inspection non satisfaisante. La grande majorité des médecins visités présentaient entre un et quatre facteurs de risque.


 


Cette étude comporte certaines limites, dont la non-disponibilité de données sur d’autres facteurs de risque potentiels reconnus dans la littérature (p. ex. : le volume de pratique). De plus, il est difficile, voire impossible, d’agir sur certains des facteurs de risque identifiés (p. ex. : l’âge). Malgré tout, un certain nombre d’enseignements peuvent en être tirés et il nous paraît plus encourageant de les énumérer en termes de facteurs de protection.

Leçons à retenir pour une meilleure qualité de la pratique

Alors que certains facteurs sont immuables, soit le sexe, l’âge et le lieu d’obtention du diplôme de médecine par exemple, d’autres sont modifiables, à savoir la tenue des dossiers, le développement professionnel continu, la pratique solo et la pratique à un âge avancé.

Il est donc souhaitable que tous les médecins puissent s’inspirer des résultats de cette étude afin de mettre en œuvre des actions qui leur permettront de maintenir ou de rehausser la qualité de leur pratique : 

  • s’appliquer dans leur tenue de dossiers;
  • participer régulièrement à des activités de perfectionnement reconnues et pertinentes à leur pratique;
  • favoriser la pratique de groupe ou en réseau;
  • être conscients de la diminution des capacités qui apparaît avec l’âge et de l’impact que ceci peut avoir sur la qualité de la pratique, avec toute la sagesse et l’humilité que cela demande.

Il est généralement reconnu que la qualité de la tenue des dossiers témoigne de la qualité des soins donnés aux patients. Dans son guide d’exercice intitulé La rédaction et la tenue des dossiers par le médecin en milieu extrahospitalier  [13], le Collège énumère six raisons qui font du dossier médical un outil indispensable pour assurer une pratique de qualité. Avant tout, le dossier médical est un aide-mémoire pour le médecin et un outil de communication avec les autres professionnels appelés à intervenir auprès de ses patients. Le Collège offre deux ateliers aux médecins qui souhaitent améliorer la tenue de leurs dossiers, l’un pour la pratique en cabinet et l’autre pour la pratique en centre hospitalier ou en soins de longue durée. Ces ateliers, en plus de présenter les éléments essentiels à une bonne tenue du dossier médical, fournissent aux participants des outils pratiques pour intégrer ces éléments dans leur travail au quotidien.

Le développement professionnel continu (DPC) est sans contredit essentiel au perfectionnement et au maintien des compétences des médecins, et ce, tout au long de leur carrière. Pour être efficaces, les activités de DPC doivent être choisies en fonction de certains critères, tels que la qualité et la pertinence par rapport aux besoins définis. À cet égard, le Collège recommande aux médecins d’opter pour des activités reconnues, puisque des critères de qualité sont pris en compte dans le processus d’accréditation. Par ailleurs, des activités de perfectionnement individuelles peuvent aussi contribuer au maintien des compétences, à condition qu’elles s’inscrivent dans une démarche réflexive honnête, critique et structurée.

Bien que ce type de pratique soit de moins en moins choisi par les jeunes médecins, plusieurs médecins exercent actuellement en solo, c’est-à-dire seuls dans leur cabinet ou seuls de leur spécialité dans un établissement. Ils ont opté pour ce mode de fonctionnement parce qu’il leur offrait certains avantages, dont possiblement une plus grande liberté dans l’organisation de leur temps de travail et une plus grande autonomie dans leurs décisions. Cependant, ce type de pratique comporte certains risques, dont celui de l’isolement professionnel, qui peut mener rapidement à une pratique obsolète. La pratique de groupe ou en réseau constitue un facteur de protection dans la mesure où elle permet un partage des connaissances et des expériences avec des confrères. La pratique de groupe peut également permettre aux médecins vieillissants de diminuer progressivement leur charge de travail et de faciliter la transition vers leur retraite en transférant leurs patients à des confrères avec qui ils ont l’habitude de travailler.

Pour toutes sortes de raisons bien établies dans la littérature scientifique [6, 14, 15], les médecins prennent leur retraite à un âge plus avancé que la moyenne des travailleurs : l’attachement envers leurs patients, la crainte de perdre une partie de leur identité qui est intimement liée à leur statut de médecin, la difficulté à trouver des remplaçants pour assurer le suivi de leurs patients, ainsi que leur insécurité financière. Au Canada, on estime à 20 % le pourcentage de médecins qui auront 65 ans ou plus en 2026 [16]. Or, il est bien connu que la probabilité d’éprouver des problèmes de santé susceptibles d’affecter la qualité de la pratique augmente avec l’âge. Pour un médecin, la diminution des capacités cognitives et de la mémoire, l’apparition de déficits moteurs ou sensoriels, des réflexes moins rapides, tous des phénomènes normaux liés au vieillissement, ainsi que d’autres problèmes de santé, sont autant de facteurs qui peuvent mettre ses patients à risque de préjudice. Il est donc essentiel pour un médecin vieillissant d’être attentif aux signes précurseurs de l’apparition de l’un ou l’autre de ces signes de vieillissement ou problèmes de santé et, surtout, d’adapter sa pratique en conséquence, voire y mettre fin définitivement. Bien au fait des difficultés qu’éprouvent une grande majorité de médecins à prendre leur retraite, le Collège, en collaboration avec la FMOQ et la FMSQ, a mis sur pied un programme d’ateliers sur la planification de la retraite. Ces ateliers portent sur une multitude d’aspects liés à la retraite, notamment les aspects financiers, psychosociaux, déontologiques et réglementaires.


Références

  1. Goulet, F., et al. Effects of continuing professional development on clinical performance: results of a study involving family practitioners in Quebec. Can Fam Physician, 2013. 59(5): p. 518-25.
  2. Wilson, M., H. Randhawa, and J. Lavis. Rapid Synthesis: Identifying Risk and Protective factors for Quality Clinical Practice, in McMaster Health Forum, 2015: Hamilton, Canada.
  3. Wenghofer, E.F., A.P. Williams, and D.J. Klass. Factors affecting physician performance: implications for performance improvement and governance. Health Policy, 2009. 5(2): p. e141-60.
  4. Donabedian, A. Evaluating physician competence. Bull World Health Organ, 2000. 78(6): p. 857-60.
  5. Jansen, J.J., et al. Effect of a short skills training course on competence and performance in general practice. Med Educ, 2000. 34(1): p. 66-71.
  6. Pong, R., F. Lemire, and J. Tepper. Physician retirement in Canada: what is known and what needs to be done, in 10th International Medical Workforce Conference. 2007: Vancouver, Canada.
  7. Norman, G.R., et al. Competency assessment of primary care physicians as part of a peer review program. JAMA, 1993. 270(9): p. 1046-51.
  8. Shine, K.I. Health care quality and how to achieve it. Acad Med, 2002. 77(1): p. 91-9.
  9. Goulet, F., et al. Performance assessment. Family physicians in Montreal meet the mark! Can Fam Physician, 2002. 48: p. 1337-44.
  10. McAuley, R.G., et al. Five-year results of the peer assessment program of the College of Physicians and Surgeons of Ontario. CMAJ, 1990. 143(11): p. 1193-9.
  11. McAuley, R.G. and H.W. Henderson. Results of the peer assessment program of the College of Physicians and Surgeons of Ontario. Can Med Assoc J, 1984. 131(6): p. 557-61.
  12. Hall, W., et al. Assessment of physician performance in Alberta: the physician achievement review. CMAJ, 1999. 161(1): p. 52-7.
  13. CMQ. La rédaction et la tenue des dossiers par le médecin en milieu extrahospitalier. 2013 : Montréal, Canada.
  14. Silver, M.P. Critical reflection on physician retirement. Can Fam Physician, 2016. 62(10): p. 783-784.
  15. Lee, L. and W. Weston. The aging physician. Can Fam Physician, 2012. 58(1): p. 17-8.
  16. Collier, R. Diagnosing the aging physician. CMAJ, 2008. 178(9): p. 1121-3.