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Tête-à-tête : Un café avec le Dr René Wittmer

Actualités

20/03/2023

Dr Mauril Gaudreault avec Dr René Wittmer assis dans un bureau

Le Dr Mauril Gaudreault reçoit le Dr René Wittmer, lauréat de la Distinction du Collège 2022 dans la catégorie Relève.

En toute convivialité, le Dr Mauril Gaudreault reçoit le Dr René Wittmer, lauréat de la Distinction du Collège 2022 dans la catégorie Relève. Nul besoin de caféine pour animer la discussion entre ces deux médecins de famille passionnés et engagés. Formation de la relève, élargissement des pratiques professionnelles, évolution du rôle des médecins de famille… la table est mise pour un entretien chaleureux et inspiré.

M.G. – Bonjour Dr Wittmer! D’abord, je veux à nouveau vous féliciter en tant que lauréat de la Distinction du Collège, dans la catégorie Relève.

R.W. – Merci, Dr Gaudreault!

M.G. – On se connaît peu, alors je vais me présenter brièvement. Vous savez peut-être que je suis un médecin de famille, comme vous. J’ai débuté en 1974, et j’ai toujours pratiqué à Chicoutimi. Je suis devenu chef du département de médecine générale, à Chicoutimi, et nous avons mis sur pied, avec la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, un programme complet de formation médicale pour les étudiants de la région. J’ai donc été professeur dans une unité de médecine de famille durant 25 ans. Encore aujourd’hui, je me sens proche de la relève. Ça me fait donc particulièrement plaisir de vous rencontrer.

R.W. – Pareillement. D’ailleurs, avec votre longue expérience en enseignement, je me demandais quels grands changements vous aviez remarqués au fil du temps?

M.G. – À mon avis, c’est l’importance qu’on accorde à l’écoute. C’est ce qui m’a toujours préoccupé, car pour moi c’est central en médecine. Il y a aussi la tendance à vouloir prolonger la formation en médecine de famille. C’est un domaine tellement large, et il semble que plusieurs nouveaux médecins ne se sentent pas prêts à pratiquer au terme de leur résidence.

R.W. – C’est vrai qu’il y a un saut entre la formation et l’entrée en pratique, et la médecine s’est beaucoup complexifiée, ce qui doit nous faire réfléchir à la durée optimale de la formation de nos futurs médecins de famille. À la fin de ma formation en médecine de famille, j’ai prolongé ma résidence de 3 mois, notamment car j’ai voulu aller chercher des compétences en échographie ciblée, par des stages. Cela dit, je me sentais globalement prêt à entrer en pratique. La formation qu’on reçoit au Québec est extrêmement complète et de qualité. Ce ne sont pas tant les aspects cliniques qui me faisaient peur en début de pratique, mais plutôt l’organisation de la pratique.

M.G. – Ah oui? Expliquez-moi.

R.W. – Quand on entre en pratique, on gère notre horaire. Il y a plein de choses sur lesquelles on a dorénavant du contrôle. Aussi, on se fait approcher pour toutes sortes de projets. C’est toute une adaptation : accepter ou non des demandes de nouveaux patients, apprendre à dire non à certains projets… C’est tentant de dire oui à tout, mais ce n’est pas possible. Ça a été un grand apprentissage pour moi.

M.G. – Vous étiez quel genre d’étudiant? Idéaliste, rêveur, pragmatique?

R.W. – J’étais studieux, comme beaucoup d’étudiants en médecine. Exigeant envers moi-même et les autres. Je pense qu’on pourrait dire engagé. Mon parcours académique a été marqué par les études, mais aussi tout ce qui venait à côté : l’implication dans l’association étudiante, dans différentes conférences qu’on organisait pour sensibiliser nos pairs sur des thématiques qui préoccupaient déjà à l’époque les étudiants, mais qui n’étaient pas beaucoup abordées dans le cursus des études médicales. Je me permets de vous relancer : quel genre d’étudiant étiez-vous?

M.G. – J’étais studieux et bon vivant aussi. Comme vous, j’ai toujours été impliqué, engagé. Je faisais plein d’activités sportives également.

R.W. – Équilibré.

M.G. – En fait, je disais que l’important, ce n’est pas d’être équilibré, mais d’être en équilibre.

R.W. – Trouver son équilibre à soi. Oui, tout à fait.

M.G. – Qu’est-ce qui vous a poussé vers la médecine de famille?

R.W. – C’était mon idée première. Je voulais m’occuper des patients de façon globale. J’ai eu des intérêts pour à peu près tout ce que j’ai vu durant ma formation : quand j’étais en stage de psychiatrie, je voulais devenir psychiatre; quand j’étais en stage de médecine interne, je voulais devenir interniste. Donc, c’était naturel à la fin de la formation de me dire : « Je veux continuer à faire tout ça! » Surtout, l’aspect longitudinal m’intéressait. Développer des liens avec mes patients, les suivre à différents stades de leur vie, développer cette relation de confiance, ça me parlait beaucoup.

M.G. – Parlez-moi de vos implications plus larges, notamment à la présidence de Choisir avec soin Québec.

R.W.
– Pour moi, c’est une source de motivation. J’aime réfléchir sur la pratique, sur comment on peut faire mieux ou différemment. Durant mes études, j’avais un intérêt pour tout ce qui était factuel. Il y a beaucoup de nuances et certaines zones grises dans la pratique médicale. Parfois, on réalise qu’on recommande certains tests et traitements alors qu’il y a très peu de raisons de le faire. Exercer cet esprit critique, ce scepticisme sain par rapport à différentes recommandations, ça m’a interpellé. De fil en aiguille, j’ai trouvé d’autres personnes comme moi qui s’y intéressaient. Nous avons organisé des formations, pour tenter d’en faire une priorité dans l’enseignement en médecine et auprès de nos collègues en formation continue. On aborde des sujets comme la déprescription et l’importance de rationaliser la médication. L’objectif est la réduction des examens et des traitements inutiles en santé. Quand Choisir avec soin Québec a été mis sur pied, les choses se sont mises en place tout naturellement. Quelqu’un devait assumer le leadership de ce projet et ça m’a fait plaisir d’accepter ce rôle, avec tous les défis que cela comporte.

J’aime réfléchir sur la pratique, sur comment on peut faire mieux ou différemment.
Dr René Wittmer, lauréat de la Distinction du Collège 2022 dans la catégorie Relève

M.G. – Vous faites également de la vulgarisation scientifique, pourquoi est-ce important pour vous?

R.W. – Dans une certaine mesure, c’est une série de coïncidences qui m’ont amené à collaborer dans les médias, que ce soit à la coanimation de l’émission C’est une question de santé durant trois saisons à Savoir média, ou encore le balado que j’anime à Radio-Canada. Je suis extrêmement choyé. Faire de la vulgarisation, c’est très important pour moi, surtout à l’ère de la désinformation. Internet permet un accès extraordinaire à de l’information pour la population, mais c’est parfois utilisé à de mauvaises fins. Il me semble important que les médecins prennent place dans les médias pour rectifier les faits et fournir de l’information de qualité. On le fait au quotidien avec nos patients lorsqu’on répond à leurs questions. En quelque sorte, c’est comme si on transposait cette relation à plus large échelle, afin d’informer un plus grand nombre de personnes.

M.G. – Que ce soit Choisir avec soin, le balado ou vos autres activités, certains pourraient dire que le temps que vous y consacrez n’est pas passé à offrir des soins. On peut en venir à se questionner sur ce qu’est un soin. Avez-vous ce genre de questionnements?

R.W. – Oui, je crois qu’on peut être médecin et soigner la population en dehors du contexte clinique. Cela dit, je ne pense pas que j’aurais une crédibilité comme vulgarisateur scientifique si je n’avais pas des patients au quotidien et des exemples de questions qui me sont amenées fréquemment. Je suis chanceux d’avoir des collègues exceptionnels au GMF-U des Faubourgs, qui partagent ma vision, et sur qui je peux compter quand j’ai besoin d’échanger des tâches cliniques pour remplir d’autres engagements.

M.G. – On parle beaucoup d’élargissement des pratiques professionnelles. Selon vous, quels rôles et responsabilités ont les médecins dans cette approche?

R.W. – Longtemps, la première ligne a été une responsabilité des médecins de famille et je pense qu’on a un rôle clé à jouer dans l’organisation des soins en première ligne. Mais le discours change et on réalise que cette responsabilité est déjà partagée entre plusieurs personnes. Il faut travailler de façon plus efficace et plus moderne, en respectant les expertises de chacun. Bien humblement, je crois qu’on forme mieux les médecins à travailler en interdisciplinarité de nos jours, tout simplement parce qu’on a intégré ces notions graduellement dans la formation. La collaboration, si on ne l’a jamais vécue, c’est difficile. Lorsqu’on la vit au quotidien, c’est bien différent.

M.G. – C’est votre cas?

R.W. – Oui, je travaille avec des infirmières, des physiothérapeutes, des pharmaciens… et je ne me vois pas retourner en arrière. Je pense que les gens ne réalisent pas à quel point l’interdisciplinarité est essentielle dans leur quotidien, bien plus qu’ils ne le pensent.

M.G. – Avez-vous été sensibilisé à ça, étudiant?

R.W. – Oui. Déjà à l’Université de Montréal, où j’ai été formé, il y avait des cours en collaboration, donc des étudiants de différents programmes en sciences de la santé se regroupaient pour résoudre des problèmes cliniques et apprendre les différents rôles et responsabilités en lien avec chaque profession. On réalise vite que s’occuper des patients, ce n’est pas uniquement l’affaire des médecins. On a tous un rôle à jouer.

M.G. – Dans le cadre de ma tournée des pôles en santé le printemps dernier, je suis allé dans les quatre facultés de médecine, dans les hôpitaux, et j’ai rencontré les étudiants. Je sens qu’il y a une préoccupation par rapport à l’interdisciplinarité. On m’interpelle en me disant : « Quelle sera la place du médecin de famille? » On le décrit souvent comme le « chef d’orchestre », je n’aime pas beaucoup cette image... Pour moi, dans une telle équipe, le médecin de famille n’est pas le chef. Y en a-t-il un d’ailleurs? Ça reste à définir.

R.W. – Tout à fait. En plus, le terme « chef d’orchestre » peut laisser sous-entendre que tout est centré sur le médecin. Pourtant, au quotidien, il y a d’autres portes d’entrée vers les soins. Je n’ai pas d’image parfaite pour décrire le rôle du médecin de famille, mais je pense qu’on fait partie de l’engrenage de soins. Nous avons un rôle clé à jouer, mais il faut repenser le modèle où tout commençait par l’intervention ou l’évaluation d’un médecin.

M.G. – Selon moi, le médecin de famille doit se rendre disponible pour répondre aux interrogations des professionnels avec qui il collabore. Il faut que ça se fasse de façon très collégiale. Sinon, il n’y aura pas d’avancement.

R.W. – Tout à fait.

M.G. – Dans toutes ces discussions, je trouve qu’il y a peu de jeunes autour de la table. Des jeunes qui réfléchissent beaucoup, qui sont actifs, et responsables socialement, ça en prend dans nos équipes pour définir ça. Car ultimement, c’est vous qui allez vivre avec ce nouveau modèle.

R.W. – Chez beaucoup de mes collègues diplômés plus récemment, ça fait partie de la réalité vécue dès les bancs d’école, donc ça nous paraît peut-être plus instinctif, plus naturel, d’aller vers le travail interdisciplinaire. Je suis certain que plusieurs de mes collègues seraient intéressés à prendre part à la discussion sur ce nouveau modèle de soins qu’on va établir ensemble.

M.G. – On pourrait en jaser bien longtemps encore. Merci sincèrement de cette conversation!

R.W. – Merci à vous!

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