Certains médecins québécois participent, dans le cadre d’ententes conclues avec une entreprise, une association ou une organisation, à l’offre de services préventifs au bénéfice des cadres, des employés ou des membres de celles-ci. La présente position a pour objectif de fournir un cadre de référence utile pour les médecins qui participent à l’organisation ou à la prestation de tels services et pour les médecins qui conseillent les tiers payeurs1.
Elle s’appuie sur les nombreux constats faits au fil des ans par divers intervenants du Collège, dans le cadre des activités de surveillance de l’exercice de ses membres. En effet, des problématiques déontologiques particulières découlent de ce type d’activités, qu’il s’agisse de questions liées au consentement éclairé aux soins, au libre choix exercé par le patient, à l’indication des services offerts ou prescrits par le médecin, au suivi requis et à l’indépendance professionnelle. Le Collège est préoccupé par les écarts à la norme déontologique que ce type d’offre de services peut générer.
Pour simplifier l’approche que préconise le Collège en matière de bilans de santé préventifs, la présente position mettra l’accent sur trois grands thèmes :
- Les bonnes pratiques cliniques
- Les droits du patient
- L’indépendance professionnelle et le désintéressement
Les bonnes pratiques cliniques : non à l’examen annuel, oui à la prévention clinique!
Le Collège constate que la planification par les médecins du suivi préventif de leur clientèle s’articule encore trop souvent autour d’un examen annuel. Les services offerts sous le vocable « bilan de santé » ont tendance à perpétuer cette façon de faire désuète plutôt que de s’inspirer des meilleures pratiques en matière de prévention clinique.
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs est d’avis que « l’efficacité de l’examen médical annuel traditionnel chez les adultes asymptomatiques n’est pas appuyée par des données probantes2 ». Des études scientifiques sur le sujet tendent à démontrer que certaines mesures de dépistage systématique engendrent parfois plus de préjudices que de bienfaits. Le groupe d’étude insiste donc sur une approche préventive menée par un professionnel des soins primaires (et pas nécessairement un médecin) pour offrir du counseling en prévention, encourager la vaccination et proposer les tests de dépistage dont l’efficacité est reconnue.
Pour l’essentiel, il s’agit des recommandations contenues dans la Fiche de prévention clinique3, un outil pratique élaboré par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), en collaboration avec le Collège. Le Guide des bonnes pratiques en prévention clinique publié en ligne par le MSSS4 collige, à l’intention des professionnels de la santé, les recommandations du directeur national de santé publique du Québec en matière de prévention clinique. Ce guide propose une approche semblable à celles de diverses sociétés savantes de réputation mondiale, comme l’American Board of Internal Medicine5 ou le U.S. Preventive Services Task Force6.
Malheureusement, les programmes de bilans de santé pour cadres, offerts par plusieurs médecins ayant fait l’objet d’une enquête du Collège, dérogent aux règles de bonnes pratiques, notamment par leur caractère non médicalement nécessaire. Les analyses de biochimie et d’hématologie « complètes », les échographies abdominales annuelles ou les électrocardiogrammes à l’effort effectués chez des patients qui ne sont ni à risque ni symptomatiques sont des exemples concrets de services discutables composant les offres de certaines cliniques ou entités corporatives.
Requis par l’état de santé ou médicalement nécessaire?
Il arrive souvent que l’on confonde les termes « requis par l’état de santé » et « médicalement nécessaire ». Les soins requis par l’état de santé du patient sont ceux qui ont une visée thérapeutique : « On entend par soin requis par l’état de santé de la personne un soin prodigué dans l’intérêt objectif du patient, du moins quant à sa santé. Ainsi, un soin requis a une visée thérapeutique. Il vise à soulager (toujours), à contrer la maladie, à restaurer ou à maintenir les fonctions physiologiques et les capacités fonctionnelles, ou à assurer une fin de vie digne7. » Cette catégorisation entre des soins requis par l’état de santé et d’autres qui ne le sont pas est utilisée dans le Code civil du Québec pour préciser les conditions exigées pour y consentir.
Quant au caractère médicalement nécessaire d’un soin ou d’une ordonnance, il fait référence à la notion de pertinence ou d’indication clinique. Il s’apprécie généralement en fonction du contexte clinique et des normes d’exercice en vigueur. Délivrer une ordonnance ou fournir un soin seulement s’il est médicalement nécessaire est une obligation en vertu de l’article 50 du Code de déontologie des médecins : « Le médecin ne doit fournir un soin ou émettre une ordonnance que si ceux-ci sont médicalement nécessaires. »
Une intervention proposée par un médecin peut donc ne pas être requise par l’état de santé du patient. Mais elle devra toujours être médicalement nécessaire.
Quant au caractère médicalement nécessaire des analyses établies à l’avance ou prescrites par un médecin dans le cadre d’examens préemploi ou d’examens de qualification pour un emploi (policiers, pilotes d’avion, etc.), ou en vue d’établir l’assurabilité d’une personne ou son admissibilité à un programme ou à un avantage, il est établi en fonction de la capacité de ces analyses à répondre aux critères prédéfinis.
Par exemple, l’électrocardiogramme à l’effort chez le patient à faible risque cardiovasculaire et asymptomatique serait considéré comme non médicalement nécessaire dans le cadre d’un bilan préventif pour cadres. Mais ce même test, prescrit dans le cadre du bilan préemploi d’un pilote de ligne, serait alors qualifié de nécessaire.
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Les droits du patient : la relation professionnelle avant tout
Lorsqu’un employeur ou futur employeur offre un bilan de santé à un cadre, un employé ou un candidat à un poste, celui-ci ne renonce pas à ses droits du simple fait qu’il se présente à un rendez-vous médical à la clinique choisie par l’employeur. Peu importe ce qui aura été conclu par entente entre l’employeur et un médecin ou une clinique, toutes les règles qui s’appliquent normalement à la relation médecin-patient doivent prévaloir. C’est particulièrement vrai pour deux enjeux souvent oubliés dans le cadre d’un bilan de santé : le consentement aux soins et l’obligation de suivi.
Ainsi, le cadre, l’employé ou le candidat est en droit de recevoir tous les renseignements lui permettant de consentir de manière éclairée aux services dispensés par le médecin responsable de son évaluation dans le cadre du bilan de santé. Cette obligation du médecin s’avérera cruciale lorsque les exigences du tiers payeur en matière de sélection conduisent à des examens qui ne seraient pas médicalement nécessaires dans un contexte normal de santé préventive.
Plaintes au sujet d’un consentement vicié
Au cours des dernières années, un nombre croissant de personnes soumises à des bilans de santé financés par un employeur ont déposé une plainte contre le médecin qui les avait évaluées. La plainte typique du patient survient lorsque des tests complémentaires coûteux, douloureux ou perçus comme inutiles sont prescrits après un résultat positif du test initial. L’incompréhension du patient est encore plus importante lorsqu’il réalisera qu’il a été examiné sur la base d’un test faussement positif.
Dans ces situations, le Bureau du syndic constate presque invariablement qu’aucune information n’a été communiquée préalablement à la réalisation du test. Les cas liés au dosage de l’antigène prostatique spécifique (APS) ou à un électrocardiogramme à l’effort sont fréquents. Les mêmes constats sont régulièrement faits dans les rapports de visite d’inspection professionnelle.
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Le patient doit avoir l’assurance d’un suivi médical lorsque celui-ci est requis par son état de santé. Cela va bien au-delà d’une visite de suivi stéréotypée dans les semaines suivant le bilan de santé ou de l’envoi par courriel des résultats des tests.
La participation d’un médecin à des programmes de bilans de santé ne l’exonère donc pas de ses obligations professionnelles. S’il est une partie à l’entente de services ou s’il conseille une partie, il doit s’assurer que toutes les modalités de l’entente respectent la déontologie médicale. Si le médecin est le prestataire des services visés par une telle entente, il doit se rappeler que ses obligations professionnelles priment sur les dispositions d’un contrat entre des tiers qui le lierait à ceux-ci. Il doit ignorer toute intervention tierce qui ne respecterait pas sa liberté professionnelle ou qui l’amènerait à ne pas respecter ses devoirs professionnels envers une personne qui recourt à ses services8.
Plaintes sur l’accès et la qualité du suivi
Le Bureau du syndic reçoit régulièrement des demandes d’assistance de la part de patients qui éprouvent des difficultés d’accès à un médecin consulté dans le cadre d’un bilan de santé. Par exemple, une patiente déplorait qu’il lui ait été impossible d’obtenir un rendez-vous avec le médecin rencontré lors d’un premier bilan, sauf si elle acceptait d’assumer elle-même les coûts d’un autre bilan, puisque l’employeur ne remboursait qu’un bilan par année. Chez cette patiente, qui n’avait pas de médecin de famille, un suivi apparaissait nécessaire en raison d’une anomalie métabolique dépistée lors du premier bilan.
Une autre situation ayant fait l’objet d’une plainte concernait un membre du personnel de direction d’une firme qui assumait les coûts de ses bilans de santé depuis plusieurs années. La clinique refusait de donner un rendez-vous de suivi à ce directeur sous prétexte qu’il avait quitté cet employeur.
Dans ces deux situations, même si les vérifications effectuées ont démontré que c’était le personnel administratif de la clinique qui avait « suivi le protocole », la dérogation à l’obligation de suivi a été attribuée au médecin qui avait évalué le patient. Parfois, c’est également le propriétaire médecin, le directeur médical ou le médecin signataire des ententes corporatives qui sera mis en cause.
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Cette précision sur la distance qu’un médecin doit prendre relativement aux influences des tiers dans l’exécution de ses devoirs professionnels est une bonne introduction au troisième thème d’importance pour le médecin qui offre des bilans de santé : l’indépendance professionnelle et le désintéressement.
L’indépendance professionnelle et le désintéressement : plus qu’une question de principe
La participation d'un médecin à un programme de bilans de santé pour cadres peut représenter un défi important en matière de conflit d'intérêts. Prises dans leur ensemble, les dispositions du Code de déontologie des médecins imposent au professionnel de toujours préférer les intérêts de son patient aux siens.
L’article 63 donne le ton de la section VI du Code sur l’indépendance et le désintéressement en exigeant du médecin qu’il évite « toute situation où il serait en conflit d’intérêts ». Il faut donc comprendre que même l’apparence d’un conflit d’intérêts devrait être évitée.
Dans le contexte des bilans pour cadres, les restrictions en matière de conflit d’intérêts sont très précises9 :
- Le médecin doit s’abstenir de rechercher ou d’obtenir un avantage financier par le biais d’une ordonnance, que ce soit directement, indirectement ou par l’entremise d’une entreprise qu’il contrôle ou à laquelle il participe.
- Le médecin doit s’abstenir d’accorder un avantage, une commission ou une ristourne à qui que ce soit.
- Le médecin doit s’abstenir de recevoir tout avantage, toute commission ou ristourne, à l’exception des cadeaux de valeur modeste.
Dans les enquêtes menées auprès de cliniques offrant des bilans de santé pour cadres, les services diagnostiques étaient rarement totalement indépendants du médecin prescripteur. Dans certaines cliniques, les revenus générés par les prélèvements pour des analyses de laboratoire prescrites par un médecin étaient la source principale de profit. Ce genre de situation place dans une position délicate le médecin qui est en mesure de contrôler une telle clinique, qui participe à ses bénéfices ou qui en tire un avantage quelconque, comme un loyer avantageux.
Le Bureau du syndic a aussi constaté que certains médecins touchaient directement une partie des profits générés par les analyses de laboratoire qu’ils prescrivaient, notamment sous la forme d’une ristourne sur les volumes d’analyses. Dans un autre cas, la clinique versait à des médecins prescripteurs d’examens de laboratoire une rémunération pour des tâches fictives, à même les ristournes versées par un laboratoire privé.
Peu importe sa fonction ou son degré de participation dans l’entreprise, le médecin qui collabore à un programme de bilans de santé pour cadres et qui tire des ristournes des analyses de laboratoires ou d’autres services diagnostiques se place dans une situation comportant un haut potentiel dérogatoire.
En résumé
Tout médecin qui veut participer à un programme de bilans de santé pour cadres, qu’il soit un promoteur de l’activité, un conseiller auprès d’une entreprise ou un participant à titre de clinicien, doit s’assurer que le programme répond aux caractéristiques suivantes :
Médicalement nécessaire
Le service offert et chacune de ses composantes doivent être médicalement nécessaires pour atteindre leur objectif de prévention et ils doivent être conformes aux données actuelles de la science médicale. |
Indépendance professionnelle
Le médecin clinicien n’est pas lié par les termes d’une entente entre un collègue ou une entreprise qui offre un programme de bilans de santé et un tiers payeur (un employeur, un organisme ou une association) sur les questions qui relèvent de son jugement clinique ou de sa liberté professionnelle, comme la prescription des examens diagnostiques nécessaires. |
Accès aux soins de santé
Le programme ne peut faire en sorte de donner à un patient une priorité d’accès à des services médicaux autrement qu’en fonction du critère de la nécessité médicale. |
Consentement éclairé
Le médecin clinicien doit donner au patient tous les renseignements nécessaires à l’obtention d’un consentement éclairé pour les soins fournis, notamment quant aux probabilités de résultats faussement positifs des examens prescrits. |
Obligations de suivi
Un programme de bilans préventifs ainsi que les politiques et les procédures de l’entreprise, de l’association ou de l’organisation qui offre ces services ne peuvent limiter les obligations de suivi du médecin qui évalue un patient dans ce contexte. |
Avantages financiers prohibés
Le médecin impliqué d’une quelconque manière dans l’offre de services de bilans de santé doit s’abstenir de recevoir un avantage financier par l’ordonnance d’examens ou d’accorder quelque ristourne, commission ou avantage à quelque personne que ce soit. |
Rémunération
La rémunération du médecin clinicien qui participe aux bilans de santé d’une clinique ne doit pas dépendre du volume des examens paracliniques qu’il prescrit et doit être établie d’une manière qui préserve son indépendance professionnelle. |
Pour toute question au sujet des bilans de santé préventifs pour les cadres, on peut joindre l’équipe du Centre d’information du Collège par courriel (info@cmq.org) ou par téléphone en composant le 514 933-4787 ou le 1 888 633-3246, poste 4787.
Références
AMERICAN BOARD OF INTERNAL MEDICINE (s. d.). Choosing Wisely.
BIRTWHISTLE, R., et collab. (2017). « Visites médicales préventives périodiques : une meilleure prestation des services de prévention », Canadian Family Physician, vol. 63, no 11, p. e449-e451.
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC et BARREAU DU QUÉBEC (2018). Le médecin et le consentement aux soins : document de référence, Montréal, 79 p.
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC et MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2020). Fiche de prévention clinique, Montréal, 1 p.
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC (2017). Modifications au Code de déontologie des médecins : guide explicatif, Montréal, 16 p.
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC (2017). Indépendance professionnelle et frais réclamés aux patients, Montréal, 3 p.
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC (2015). Le médecin, la télémédecine et les technologies de l’information et de la communication : guide d’exercice, Montréal, 42 p.
DIRECTION DES ENQUÊTES DU COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC (2016). « Les forfaits d’analyses de laboratoire », Collège des médecins du Québec, 2 mai.
MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2018). Guide des bonnes pratiques en prévention clinique.
QUÉBEC (2019). Code de déontologie des médecins, RLRQ, c. M-9, r. 17, art. 63 et suivants.
QUÉBEC (2019). Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c A-29, r. 5, art. 22(i).
ROBERT, Y. (2015). « Non à l’examen annuel, oui à la prévention clinique », Collège des médecins du Québec, 8 avril.
U.S. PREVENTIVE SERVICES TASK FORCE. (s .d.) Electronic Preventice Services Selector (ePSS) Tool.
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1 Le paragraphe i) de l’article 22 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie prévoit qu’un tel service professionnel, qui autrement aurait été considéré comme assuré par le régime public, n’est pas considéré comme assuré s’il a été rendu « sur la base d’une entente ou d’un contrat avec un employeur ou une association ou organisme aux fins de rendre des services assurés à ses employés ou à leurs membres ».
2 Richard Birtwhistle, et collab. « Visites médicales préventives périodiques : une meilleure prestation des services de prévention », 2017.
3 Collège des médecins du Québec et ministère de la Santé et des Services sociaux, Fiche de prévention clinique, 2020.
4 Voir à ce sujet l’outil publié en ligne par le ministère de la Santé et des Services sociaux : Guide des bonnes pratiques en prévention clinique, 2018.
5 Voir à ce sujet l’initiative « Choosing wisely » de l’American Board of Internal Medicine.
6 Voir à ce sujet la page de l’outil « ePSS » de l’U.S. Preventive Services Task Force : Electronic Preventive Services Selector (ePSS) Tool.
7 Collège des médecins du Québec et Barreau du Québec, Le médecin et le consentement aux soins : document de référence, 2018, p. 14.
8 Code de déontologie des médecins, RLRQ, c. M-9, r. 17, art. 7 et 64.
9 Code de déontologie des médecins, RLRQ, c. M-9, r. 17, art. 73.
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