Améliorer les soins, un kilomètre à la fois

Dre Jessie Nault
Photo : Jonathan Samson
D’origine anichinabée, la Dre Jessie Nault termine actuellement sa résidence en obstétrique-gynécologie à l’Université de Montréal. Travaillant à la mise sur pied d’une clinique mobile, le Bimaadiziwin (qui signifie « une bonne vie en santé » en anishinaabemowin), elle compte parcourir bientôt la Vallée-de-la-Gatineau et l’Abitibi-Témiscamingue, avec d’autres collègues médecins spécialistes, pour offrir les meilleurs soins possibles aux patients, autochtones ou non, résidant loin des grands centres. Membre de comités locaux et pancanadiens sur des enjeux liés aux questions autochtones, Jessie Nault a reçu le Prix du leadership en responsabilité sociale du Conseil médical du Canada en 2021. Entretien avec une visionnaire passionnée.
Photo : Jonathan Samson
Certains patients fréquentaient cette clinique plutôt que de se diriger vers la salle d’urgence d’un hôpital, même si leur situation requérait des soins immédiats, car ils s’y sentaient plus en sécurité.
Jessie Nault, M.D.
Qu’est-ce qui fait en sorte qu’il n’est pas sécurisant pour les gens des communautés autochtones de fréquenter certains milieux de soins?

Je pense que la réponse est très complexe. Malheureusement, peu importe d’où l’on vient ou qui l’on est, nous avons des biais qui vont s’exprimer de différentes façons. Parfois, des phrases seront dites ou des traitements seront proposés alors que les professionnels de la santé n’ont aucune idée de la réalité du patient. Par exemple, pour les Premières Nations, certains médicaments ou soins de santé sont remboursés par le Programme des services de santé non assurés du gouvernement fédéral, mais pas tous. Imaginez que vous avez parcouru des centaines de kilomètres pour voir un médecin et que vous retournez dans votre communauté avec votre ordonnance… pour apprendre à la pharmacie que ce médicament n’est pas couvert et qu’il faut le débourser de votre poche, alors que vous n’en avez pas les moyens. Comment pourrez-vous alors contacter de nouveau ce médecin? On sait bien qu’avec l’état actuel du réseau de la santé, l’accès aux soins est difficile. C’est le genre de barrière qui fera en sorte que le patient se sentira dépourvu et non sécurisé parce qu’il ne sera pas adéquatement traité pour son problème.

Le concept des sept générations est également important dans la culture autochtone. Ce qui se passe aujourd’hui aura un impact sur les sept prochaines générations. Et une chose qui s’est produite il y a sept générations a encore un impact aujourd’hui. Au Canada, certaines histoires d’horreur ont eu lieu dans des milieux de soins, et malheureusement encore récemment. De génération en génération, l’information se transmet oralement, et le sentiment d’insécurité, de peur, d’ostracisation se perpétue. Je crois qu’il y a actuellement plusieurs initiatives importantes pour changer les choses. Mais cela prendra probablement sept générations pour produire son plein effet. Donc, il faut commencer dès maintenant pour avoir un impact dans le futur.

Je crois qu’il y a actuellement plusieurs initiatives importantes pour changer les choses. Mais cela prendra probablement sept générations pour produire son plein effet. Donc, il faut commencer dès maintenant pour avoir un impact dans le futur.
Jessie Nault, M.D.
Parlez-nous du projet de clinique mobile que vous êtes à mettre sur pied.

C’est un projet qui me tient énormément à cœur et me passionne. Il peut s’appliquer à plusieurs situations et auprès de nombreuses communautés. Cela part d’une réflexion personnelle, mais aussi d’échanges avec des gens autour de moi, très certainement mon grand-père justement. Comme je le mentionnais, il avait besoin de parcourir beaucoup de route au départ pour obtenir ses traitements de dialyse. En pensant à l’histoire de mon grand-père, je me suis dit : comment peut-on aller au-devant des patients? J’avais le désir de mieux desservir les personnes, autochtones ou non, vivant en milieu rural ou dans des régions plus éloignées. Mon objectif est d’offrir des soins spécialisés, personnalisés, culturellement sécurisants, dans les communautés, et possiblement même dans la langue de la personne, si des membres de la famille peuvent servir d’interprètes.

En cours de route, d’autres questions se sont posées. Par exemple, même si les dispensaires de soins accomplissent un travail extraordinaire avec les moyens dont ils disposent, ils n’ont pas nécessairement l’équipement dont j’aurai besoin pour faire mon travail et donner un bon service aux patientes. Donc, je me suis dit qu’il faudrait que j’apporte mon matériel. D’où l’idée pour mes patientes de me déplacer avec mon appareil d’échographie, mes instruments de gynécologie, peut-être même certains médicaments de base que je pourrais offrir directement pour leur éviter de faire beaucoup de route pour se rendre à la pharmacie.

En parlant de cette idée autour de moi, certains collègues d’autres spécialités ont manifesté leur envie de m’accompagner. Tranquillement, c’est ainsi que l’idée a pris forme. Celle d’un autobus — ou d’une clinique mobile — avec des médecins spécialistes qui voyagent parmi les communautés pour leur offrir des soins de qualité, autant que si l’on était en clinique tertiaire, dans un grand centre urbain.

Prévoyez-vous travailler uniquement sur la route?

C’est sûr que je ne peux pas offrir toute la gamme de soins en gynécologie à partir d’une clinique mobile. J’ai besoin d’une salle d’accouchement, d’une équipe autour de moi, d’un bloc opératoire pour faire plusieurs interventions. Mais une fois qu’un lien de confiance sera créé avec ces patientes, elles seront plus à l’aise de venir me voir à la clinique. Elles me connaîtront et sauront alors qu’elles recevront des soins culturellement sécurisants, à la hauteur de ce qu’elles méritent.

Cette continuité sera très importante et il en ira de même avec les autres spécialistes qui participeront à la clinique mobile. J’espère que nous pourrons ramener cette confiance des patients autochtones envers les professionnels de la santé. Je pense que ça pourrait faire une énorme différence.

Quand comptez-vous lancer ce projet ?

Dans le meilleur des mondes, ce sera en 2023. La pandémie a rendu les choses plus difficiles. On continue de se réunir, de faire avancer les choses, mais il faut être réaliste. Dès que l’on pourra se lancer, on le fera avec la plus grande joie du monde.

Trouvez-vous que les médecins sont actuellement bien outillés pour travailler avec les Premières Nations?

Je crois qu’un effort particulier est fait. Des programmes sont mis en place pour mieux former les futurs professionnels de la santé à la réalité des patients autochtones. C’est toutefois à géométrie variable d’un programme à l’autre, d’une université à l’autre, d’une personne à l’autre. Je donne souvent l’exemple de mon collègue résident en chirurgie générale, qui allait obtenir son diplôme l’année suivante et qui n’avait jamais entendu parler de pensionnats autochtones. Cette personne, qui va probablement être un excellent médecin par ailleurs, va sûrement côtoyer des patients autochtones dans sa pratique. Pourtant, il ignore la base même de ce qui a été problématique dans notre histoire au Canada. Je pense que les prochaines générations de médecins auront certains outils, mais il reste des manques.

Que souhaitez-vous dire aux apprenantes et apprenants en médecine?

Parfois, on peut avoir des craintes : est-ce que je fais la bonne chose? Est-ce que je la fais correctement? Est-ce que je peux créer des traumatismes en raison de ce que je fais? Certaines personnes s’empêchent de tendre la main à cause de cette peur de ne pas faire la bonne chose. On ne peut pas tout savoir. Mais on peut faire notre possible, rester humble envers le patient, avouer ce qu’on ne connait pas, demander comment on peut l’aider… je pense que c’est fondamentalement un très bon départ.


Photo : Jonathan Samson

Publication originale de l’article : Vocation M.D. – Mai 2022