De chirurgien à médecin de famille : le parcours remarquable d’un diplômé international en médecine

Dr Soufiane Bensaidane

Professeur de clinique à l’Université Laval, responsable des stages en région et d’un groupe de résidents d’un GMF-U, le Dr Soufiane Bensaidane exerce également la médecine à l’Hôpital Saint-François d’Assise. Il est co-chargé du Groupe d’intérêt des diplômés internationaux en médecine de l’Université Laval, qui offre un soutien aux diplômés hors Canada et États-Unis venus poursuivre leurs études au Québec.

Vous avez étudié la médecine et pratiqué la chirurgie en Algérie, votre pays d’origine. Quelles circonstances vous ont amené à immigrer au Canada?

L’Algérie est un merveilleux pays, toutefois l’instabilité politique et les séquelles atroces d’une longue guerre civile ont motivé cette décision de quitter. À l’époque, mes enfants étaient jeunes et nous avons choisi, ma femme et moi, de leur donner cette chance.

Le Canada est un pays d’accueil et la procédure d’immigration nous semblait bien faite. Comme nous sommes francophones, nous visions d’abord et avant tout le Québec. Ma femme est ingénieure en électronique et c’est grâce à elle si nous avons été acceptés. C’était en 2004 et malgré la pénurie de médecins, il n’y avait aucun processus encourageant la venue de médecins étrangers.

Quel a été votre parcours professionnel une fois dans votre pays d’accueil?

J’avais travaillé comme chirurgien pendant 10 ans en Algérie avant de m’établir ici. Comme je souhaitais continuer à exercer la médecine, j’ai entrepris le processus d’équivalence et passé les examens du Collège des médecins et ceux du Conseil médical du Canada. Une fois cette étape réussie, il me restait à effectuer une résidence en chirurgie et ensuite je pourrais travailler. J’ai donc postulé au Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) dans trois spécialités médico-chirurgicales. Malheureusement, je n’ai pu trouver de programme qui m’accepte.

Je me suis alors déniché un emploi dans une compagnie de placement d’infirmières qui desservait certaines régions éloignées. Grâce à une subvention, cette compagnie a pu m’envoyer dans le Grand Nord! C’est la première région que j’ai visitée! Je me suis rendu à Kuujjuaq, Puvirnituq et Inukjuak, où j’ai pu observer comment ça fonctionnait. Au retour, j’ai conçu puis donné une formation pour les infirmières qui partaient dans le Nord.

Qu’est-ce qui vous a poussé à effectuer une réorientation vers la médecine familiale?

Une médecin de Kuujjuaq, qui donnait des cours avec moi, m’a fait découvrir l’univers de la médecine familiale. Tout cela était nouveau pour moi. Cela dit, en faisant mon processus d’équivalence, j’avais dû refaire en quelque sorte mes études en médecine et acquérir des notions de psychiatrie, dermatologie, et bien d’autres. Ces connaissances m’avaient donné une base dans plusieurs domaines et c’est ainsi que j’ai décidé de postuler en médecine familiale.

Ce qui me plaisait, c’est le fait de toucher à tout. Le médecin de famille ici, ce n’est pas comme le médecin généraliste en Algérie, qui est limité et doit envoyer les patients rapidement aux spécialistes. Ici, on peut réaliser toute une panoplie de gestes techniques et couvrir plusieurs domaines. Par exemple, maintenant je fais de la chirurgie mineure, ce qui me ramène à ce que j’ai toujours aimé.

Quel a été votre parcours comme médecin de famille?

Quand j’ai fini ma résidence en médecine de famille, en 2009, j’ai décroché un poste à l’Hôtel- Dieu de Québec. Je passais la moitié de mon temps là et l’autre moitié à Trois-Rivières. Au bout d’un an et demi, je suis devenu urgentologue à temps plein à Québec, mais j’ai toujours continué à faire du dépannage en région. Je faisais de l’hospitalisation et de l’urgence dans plusieurs hôpitaux, notamment à Matane, à Buckingham, à Sept-Îles aussi. Avec la pandémie, toutefois, j’ai dû arrêter.

Que retirez-vous de ces expériences dans plusieurs régions du Québec?

Je trouve que la médecine est beaucoup plus intéressante dans des centres éloignés, où il y a moins de médecins spécialistes. C’est le médecin de famille qui doit se « casser la tête » et trouver la solution. Tout dépend de lui. Même le rapport avec les gens est différent. Les patients sont très reconnaissants de ce que l’on fait là-bas, on ressent leur gratitude et c’est valorisant.

Je trouve que la médecine est beaucoup plus intéressante dans des centres éloignés, où il y a moins de médecins spécialistes. C’est le médecin de famille qui doit se « casser la tête » et trouver la solution.
Soufiane Bensaidane, M.D.
La façon d’enseigner ou de pratiquer la médecine est-elle similaire au Québec et en Algérie?

Au fond, c’est totalement différent. En Algérie, le système est à peu près calqué sur celui de la France. Au Québec, c’est beaucoup moins hiérarchique. Chaque médecin est maître de ce qu’il fait. On peut avoir à prendre des décisions collégiales, en équipe, bien sûr, mais c’est différent. Pour l’enseignement, ce qui m’a vraiment plu ici, c’est la formation pédagogique des enseignants. En France ou en Algérie, on estime que si tu es médecin, tu es capable d’enseigner… alors que ce n’est pas toujours vrai. On a nos capacités, nos habiletés de communication innées, ça c’est une chose. Mais enseigner la médecine, c’est autre chose. Ça s’apprend. Et quand on l’apprend, on est plus efficace, on passe mieux le message.

Quelle est la notion la plus importante à inculquer aux étudiantes et étudiants ?

Pour moi, la médecine, c’est une vocation. L’empathie, le fait de bien communiquer, d’écouter, de comprendre la douleur d’une personne, tout cela s’apprend, on peut l’enseigner. Mais l’humanisme, se dévouer pour le patient, le comprendre vraiment et le soutenir dans les moments difficiles, c’est vraiment plus difficile à apprendre. En tant qu’enseignant, on doit jouer un rôle de modèle, transmettre cet humanisme et cette passion de la médecine et de l’humain dans le « non verbal », par nos comportements.

Pour moi, la médecine, c’est une vocation.
Soufiane Bensaidane, M.D.
Vous êtes responsable des stages en région en médecine familiale à l’Université Laval. Pourquoi est-ce important pour vous ?

Je suis très sensible à cette problématique. Il se trouve que les régions sont en train de se dégarnir à la vitesse grand V. Ce n’est pas pour rien que je partais faire du dépannage en région… Il n’y avait pas de médecins, tout simplement.

J’essaie d’envoyer un maximum d’apprenants en stage en région parce qu’ils peuvent ainsi avoir la piqure et vouloir retourner là-bas. Des médecins coordonnateurs sur place veillent à les sensibiliser non seulement aux avantages de la région, mais aussi aux attraits de la médecine familiale.

Vous trouvez que la région est une bonne vitrine pour la médecine de famille?

En effet, la région est un bon moyen de « vendre » la médecine familiale parce que les médecins de famille y ont une très grande autonomie. Là-bas, le médecin de famille fait de tout. Il examine une femme enceinte, puis voit un cas en psychiatrie, fait la suture d’une plaie, met un plâtre, et ainsi de suite. Les apprenants peuvent être attirés par cette autonomie et cette polyvalence.

Aujourd’hui, vous offrez un soutien aux diplômés internationaux en médecine. Expliquez-nous.

On a créé, avec la Dre Josette Castel, le Groupe d’intérêt des diplômés internationaux en méde- cine de l’Université Laval. L’objectif est d’aider les diplômés en médecine hors Canada et États- Unis (DHCEU). On leur donne nos coordonnées et, s’ils ont des problèmes, ils nous appellent. Chaque année, une semaine d’intégration est organisée pour eux, comme cela se fait dans les autres facultés de médecine québécoises. Lors de cette semaine, la Dre Castel et moi rencontrons ces médecins. Nous leur présentons quelques notions cliniques, puis je prends toujours une demi-heure pour leur parler des « vraies choses », de leurs craintes…

Quelles sont leurs craintes?

Ce sont des gens qui viennent jouer leur carrière ici. Je le sais, car je suis passé par là. Ils ont choisi la médecine, ils aiment la médecine, et ils viennent ici pour X raisons. Ils veulent continuer à exercer et ça dépend juste d’une résidence de deux à cinq années… Ils veulent performer et sont capables de le faire, mais parfois, ils font face à des préjugés ou ils rencontrent d’autres DHCEU qui n’ont pas réussi, et qui leur dressent un tableau sombre ou leur donnent des conseils qui ne sont pas toujours très avisés. C’est ce que je tente de déconstruire. Je leur explique qu’ils sont capables, que s’ils ont les compétences, il n’y a rien à craindre. Le fait pour eux de discuter avec un médecin étranger, devenu professeur, cela leur donne un peu d’assurance. La confiance est extrêmement importante.

Au fil de votre carrière, avez-vous été confronté à certains préjugés dans vos milieux de travail?

Ah oui, c’est sûr ! Ce n’est pas toujours rose. Avec les DHCEU, je parle des préjugés, du racisme, car c’est leur plus grosse crainte. Est-ce que ça existe vraiment? Oui.

En fait, de façon générale, dans le milieu médical et de l’enseignement, je dirais qu’il n’y a pas de préjugés ou de racisme. Quand il y a un préjugé, c’est souvent lié à une mauvaise expérience avec une personne. Je me rappelle très bien quand j’ai commencé ma résidence en médecine familiale. Je faisais un stage à l’urgence du CHUL. J’ai fait 4 ou 5 gardes, tout était impeccable, puis je suis tombé sur une patronne qui m’a descendu d’une façon extraordinaire dans sa feuille de rétroaction. Je n’en revenais pas. J’ai parlé à son collègue et j’ai dit « Mais ce n’est pas possible, regardez ce qu’elle a écrit, est-ce que vous pensez que je suis comme ça ? » Il était étonné, mais il m’a expliqué que cette personne avait justement eu une très mauvaise expérience avec un médecin qui venait d’Algérie, ce qui l’avait probablement rendue méfiante. Quand même, une expérience comme ça peut démolir quelqu’un. Si je n’avais pas eu le soutien des autres patrons de l’équipe du CHUL, j’aurais été vraiment mal en point.

Et de la part des patients, en avez-vous déjà ressenti?

C’est une très bonne question. Personnellement, je souris quand parfois, en région, on me dit naïvement « de quelle race vous êtes...? » Ça ne me dérange pas du tout. On m’a même déjà appelé Docteur Ben Laden au lieu de Docteur Bensaidane. En fait, je rigole avec eux, car je sais que ce n’est pas mal intentionné.

À l’inverse, dans les grandes villes, il arrive parfois que les patients semblent moins vous croire ou vous faire confiance, parce que vous êtes d’ailleurs. Il faut qu’ils vous découvrent… et je comprends ça. Vous savez, quand je suis venu ici, j’ai fait un stage d’un mois en périnatalité et j’ai voulu diriger ma pratique future vers l’obstétrique. Il y avait des gestes techniques, une bonne dose d’adrénaline et j’adorais ça. Normalement, pour faire de la périnatalité, on doit suivre une quinzaine de patientes durant sa résidence. Chaque fois qu’une patiente enceinte appelait l’UMF pour avoir un suivi médical et que mon nom était proposé, la patiente refusait. Je n’ai donc pu recruter aucune patiente, tout simple- ment. Pourtant, je crois que j’aurais pu être un très bon obstétricien. C’est juste que je ne m’appelle pas Tremblay mais Bensaidane. Alors je me suis orienté vers l’urgence. On m’a même déjà appelé Docteur Ben Laden au lieu de Docteur Bensaidane. En fait, je rigole avec eux, car je sais que ce n’est pas mal intentionné.

Encore aujourd’hui, certains résidents nés au Québec, dont le nom a une consonance étran- gère, vivent le même problème. Chaque année, la secrétaire vient me voir au sujet de trois ou quatre personnes : « Dr Bensaidane, qu’est-ce que je fais? Cette patiente ne veut pas avoir ce résident… » Juste à cause d’un nom! Et pourtant, ce résident est né ici et parle avec l’accent québécois!

Dès que les gens se rencontrent, c’est différent. Souvent, après que la personne vous connaît, ça y est, elle ne jure que par vous.

Que peut-on faire pour améliorer les choses ?

Regardez dans les médias, combien d’immigrants voyez-vous ? Il y a en a certes plus qu’avant, mais il y en a peu encore ! À mon avis, il faudrait que les gens s’habituent à voir des noms « bizarres », à découvrir de nouveaux visages, à entendre des accents différents. Parfois, il suffit juste qu’on ait la chance de se connaître et puis ça y est… on se découvre et le problème est réglé.

Publication originale de l’article : Vocation M.D. – Septembre 2022