
Je m’appelle Thomas et je suis une fille
Que faire si votre enfant ne s’identifie pas à son sexe et à son genre de naissance ? Survol des informations clés et des ressources à connaître.
Quand un enfant interroge, conteste ou rejette son sexe et son genre de naissance, les parents se sentent souvent démunis. Heureusement, il est possible de trouver des réponses et l’accompagnement professionnel approprié lorsque nécessaire. Voici un survol des informations clés et des ressources à connaître.
Un défi pour les familles et pour la société
Sasha, trois ans, confie pour la première fois à sa mère qu’il sera une fille plus tard. Sa mère, peu familière avec la notion de transidentité, croit d’abord à une fantaisie enfantine et lui répond « Mais non, ce n’est pas possible… Tu ne peux pas être une fille ».
Cette phrase, prononcée en toute candeur et avec bienveillance, provoque pourtant une détresse perceptible chez Sasha, comme le racontera sa mère des années plus tard. Celle-ci sera longtemps habitée par un sentiment de culpabilité, d’abord pour ne pas avoir compris tout de suite que le désir de Sasha n’était pas qu’un jeu d’enfant. Puis, quand elle n’aura plus de doutes sur ce que son enfant est en train de vivre, elle se sentira responsable de sa confusion identitaire. Ne rêvait-elle pas d’avoir une fille pendant sa grossesse ?
C’est ce qu’explore avec beaucoup de sensibilité le documentaire, Petite Fille, du réalisateur Sébastien Lifshitz, paru en 2020. Dès les premières minutes, le réalisateur nous plonge dans l’intimité de cette famille aimante, qui place le bien-être de Sasha — né garçon, mais qui se perçoit comme fille —, très haut dans sa liste de priorités. Âgée de 7 ans au moment du tournage, Sasha rêve de pouvoir exprimer son identité de fille partout et tout le temps, confrontant sa famille à des questions difficiles ainsi qu’à un milieu scolaire qui peine à comprendre et à accueillir la diversité de genre.
Le documentaire illustre l’importance du soutien familial pour les enfants trans, en même temps que la nécessité de mieux outiller le milieu scolaire et de former davantage de professionnels de la santé capables d’intégrer cette réalité complexe dans leur pratique. Bien que la prévalence de la transidentité soit relativement faible — le recensement de 2021 indiquait qu’elle représentait 0,52 % de la population québécoise âgée de 15 à 34 ans —, celle-ci présente des défis considérables pour les familles d’enfants trans dont le parcours se heurte souvent à l’incompréhension, à la stigmatisation, voire à la violence.
À une époque où l’intolérance envers toutes les formes de différences semble faire retour, il importe de poursuivre les efforts d’éducation, tant dans les écoles que dans les milieux de soins et, plus largement, dans la société, afin de combattre la stigmatisation des personnes en situation minoritaire.
Pour la médecin et anthropologue, Nathalie Duchesne, médecin-conseil au Collège des médecins du Québec (CMQ), la sensibilisation, notamment auprès des professionnels de la santé, est un travail de longue haleine qui ne peut pas prendre de repos. « Cette ouverture à la différence n’est jamais acquise pour de bon. On le voit bien avec les récents événements aux États-Unis. Pour nous, au CMQ, ce n’est rien de moins qu’une responsabilité sociale », dit-elle.
Et si ça nous arrivait à nous ?
Dans le documentaire Petite Fille, il s’écoule quatre ans entre le moment où Sasha dit à sa mère qu’il sera une fille quand il sera grand et une première consultation avec la pédopsychiatre. Si, dans ce cas précis, le sentiment intime de Sasha d’être fille plutôt que garçon persiste dans le temps, ce n’est pas toujours le cas.
Dans la petite enfance, les filles et les garçons explorent spontanément des comportements que l’on attribue habituellement aux enfants de l’autre sexe1. On pourra voir, par exemple, des garçons jouer avec des poupées et des filles se déguiser en pompier (les pompières sont encore peu nombreuses et notre imaginaire collectif tarde à associer spontanément ce métier, comme bien d’autres, aux deux sexes). Ceci fait partie du développement normal de l’enfant. Les spécialistes recommandent d’ailleurs de favoriser cette exploration en mettant à la disposition des tout-petits une diversité de jouets, de jeux et d’accessoires.
Lorsque cette exploration se transforme en affirmation et que celle-ci s’inscrit dans le temps, comme c’est le cas pour Sasha, les parents peuvent se sentir démunis pour une multitude de raisons. Ils peuvent éprouver de la colère, de la tristesse et de la culpabilité. Ils peuvent aussi avoir de la difficulté à accepter cette réalité. Enfin, ils peuvent se demander « Que faut-il faire ou ne pas faire maintenant ? ».
En fait, il y a autant de réactions possibles que de parents, mais dans tous les cas, la bienveillance est de mise, autant envers soi-même qu’envers son enfant. Pour certains parents, ce sera une belle occasion de dépasser les idées reçues pour accueillir une réalité qui n’y cadrait pas jusque-là. Pour d’autres, ce sera le moment de s’informer pour savoir comment discuter avec son enfant et d’évaluer s’il serait opportun de consulter.
Comme le montre bien le documentaire, il n’y a pas à chercher de coupable. C’est inutile. Comme dans tous les domaines de sa vie, votre enfant a besoin de votre amour et de votre soutien, d’autant plus que sa différence, qu’elle s’inscrive ou non dans le temps, exigera beaucoup de lui ou d’elle.
Transidentité et dysphorie de genre, est-ce la même chose ?
La terminologie pour désigner les nombreux aspects de la diversité sexuelle et de genre est à la fois riche et complexe. Elle est en évolution constante, en même temps que notre compréhension s’affine et que l’affirmation des personnes et des groupes concernés s’intensifie.
L’acronyme le plus fréquemment employé et qui englobe l’ensemble de ces réalités est LGBTQ+, qu’on retrouve notamment dans les médias francophones. Jusqu’en 2022, le gouvernement canadien utilisait plutôt LGBTQ2. Aujourd’hui, on rencontre également 2ELGBTQQIA+ et 2ELGBTQI+, parmi d’autres. Dans tous ces acronymes, la lettre « T » désigne les personnes transgenres, peu importe leur âge.
Il y a transidentité, ou incongruence de genre, chez une personne – enfant, adolescent, adulte – qui a la conviction que son identité de genre ressentie ne correspond pas à son sexe et à son genre de naissance. C’est le cas de Sasha, dans Petite Fille, qui ne doute pas un instant qu’elle est une fille, même si elle est née avec des organes génitaux masculins. Elle se perçoit, vit, s’identifie comme fille. Cette transidentité peut se vivre sans heurts, ce que favorisera un environnement familial, scolaire et social bienveillant.
Mais même dans un environnement idéal, il est possible que le simple fait de cette non-concordance entre le genre présumé à la naissance et l’identité de genre ressentie soit une source d’anxiété et de mal-être. C’est ce qu’on appelle la dysphorie de genre. Cette détresse peut être intense, même chez les jeunes enfants, et atteindre un pic au moment de la puberté quand le corps commence à se transformer.
La dysphorie de genre, selon le DSM-5, est la non-congruence marquée entre le genre vécu/exprimé par la personne et le sexe et le genre de naissance, d’une durée minimale de six mois, se manifestant par au moins six des éléments suivants (le critère no 1 en faisant obligatoirement partie) :
- Désir marqué d’appartenir à l’autre genre, ou insistance du sujet sur le fait qu’il est de l’autre genre (ou d’un genre différent de celui qui lui a été assigné).*
- Chez les garçons (genre assigné), forte préférence pour le style vestimentaire opposé ou pour le travestissement en femme, ou chez les filles (genre assigné), préférence marquée pour le port exclusif de vêtements masculins et forte opposition au port de vêtements typiquement féminins.
- Dans les jeux de « faire semblant » ou dans les jeux de fantaisie, forte préférence pour incarner l’autre sexe.
- Forte préférence pour les jouets, jeux ou activités typiquement de l’autre sexe.
- Préférence marquée pour les camarades de l’autre sexe.
- Chez les garçons (genre assigné), fort rejet des activités, des jouets ou des jeux typiquement masculins et évitement marqué des jeux de bagarre, ou chez les filles (genre assigné), fort rejet des jouets, des jeux ou des activités typiquement féminins.
- Forte aversion pour sa propre anatomie sexuelle.
- Désir marqué d’avoir des caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaires qui correspondent au genre que le sujet vit comme sien.
*Le trouble est accompagné d’une détresse cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, scolaire ou dans d’autres domaines importants.
Source : American Psychiatric Association. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), 5e édition. Elsevier Masson SAS, Issy-les-Moulineaux : APA, 2015.
Quand et qui faut-il consulter ?
Les enfants sont capables de s’identifier comme garçon ou comme fille dès l’âge de trois ans. À ce stade de leur développement, ils peuvent exprimer leur identité de genre de plusieurs manières : leurs choix vestimentaires, leur coupe de cheveux, leurs choix de jouets et d’activités, le choix du genre de leurs amis, etc.
Toutefois, comme nous l’avons mentionné plus haut, ce n’est pas parce qu’un garçon aime bien jouer avec des poupées ou porter les vêtements de sa sœur qu’il s’identifie nécessairement comme fille. Mais si votre fils vous répète qu’il est une fille et se fâche ou fond en larmes si vous ne confirmez pas qu’il est une fille, vous voudrez probablement amorcer une conversation ouverte, à hauteur d’enfant, et voir avec le temps s’il ne serait pas approprié de consulter.
Vous pourriez d’abord prendre rendez-vous avec le pédiatre ou le médecin de famille de votre enfant, qui pourra vous diriger ensuite vers une ou des ressources spécialisées si cela est nécessaire. Puisque la transidentité est relativement peu fréquente et que les enjeux qui y sont liés sont délicats et complexes, bien des parents craignent de consulter une ou un professionnel qui ne comprendrait pas la situation ou ferait preuve d’indélicatesse.
Il est vrai que tous les professionnels de la santé ne sont pas nécessairement dûment formés à la prestation de soins dans un contexte de diversité de genre. Mais les choses progressent. De nombreux ordres professionnels de la santé, dont le Collège des médecins du Québec, ainsi que des médecins spécialistes dans le domaine, offrent des formations à cet effet. Les Facultés de médecine s’ajustent aussi à cette nouvelle réalité.
L’article 17 du Code de déontologie des médecins stipule qu’avec ou sans formation sur la diversité de genre « Le médecin doit avoir une conduite irréprochable envers toute personne avec laquelle il entre en relation dans l’exercice de sa profession, notamment envers tout patient, que ce soit sur le plan physique, mental ou affectif. »2 Si vous et votre enfant ne recevez pas la qualité d’accueil, d’écoute et de soins à laquelle vous êtes en droit de vous attendre, n’hésitez pas à porter plainte.
Enfin, si ce que vit votre enfant de trois, cinq ou sept ans vous met mal à l’aise, vous trouble ou vous inquiète, vous pouvez vous informer sur le sujet en lisant ou en adhérant à un groupe d’entraide (voir la liste des ressources ci-dessous). Et vous pouvez bien sûr consulter une ou un professionnel de la santé pour prendre soin de vous.
Trouver de l’information
Centre de lutte contre l’oppression des genres
Familio, Naviguer dans la parentalité : comprendre et soutenir les enfants non-binaires
Gouvernement du Québec. Statistiques sur la diversité de genre.
Chaire de recherche du Canada ReParE
Trouver un groupe d’entraide sur Facebook
Parents supportant leur enfant trans ou non-binaire du Québec
Notes
1- Nous avons employé les termes « sexe » et « genre » selon le contexte pour faciliter la compréhension. Sur le plan linguistique, le sexe d’un enfant à la naissance est constaté sur la base de caractéristiques physiologiques et biologiques. Le genre d’un enfant à la naissance est présumé en fonction de ces caractéristiques. Le genre présumé ou assigné à la naissance (masculin ou féminin) peut ne pas concorder avec l’identité de genre ressentie plus tard. Pour plus de détails, voir Office québécois de la langue française, Genre assigné à la naissance.
2- Code de déontologie des médecins
Bloc technique
Recherche, rédaction, révision linguistique : CMQ
Révision scientifique : Dr Nicholas Chadi, clinicien-chercheur spécialisé en médecine de l’adolescence au CHU Sainte-Justine et professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal
Date de publication : 19 juin 2025