Soins utiles ou superflus? 4 questions à se poser

Au Canada, une étude révèle qu’environ un tiers des examens, traitements et interventions médicales réalisés ne seraient pas nécessaires. Cette surutilisation des ressources mine l’accès au réseau de la santé, gruge un temps précieux à des milliers de patients et de professionnels, et génère son lot d’inquiétudes et d’effets non désirés. Comment savoir si un soin est réellement utile? Le Dr René Wittmer, médecin de famille, fournit quelques pistes pour faire des choix plus judicieux.

On parle de plus en plus de pertinence des soins dans le domaine de la santé… À l’heure où le réseau est sursollicité et où le contexte climatique nous incite à repenser nos habitudes de consommation, la question est plus actuelle que jamais. Les soins qualifiés de pertinents se définissent comme ceux qui « ont le potentiel d’améliorer de façon substantielle la santé et la qualité de vie de la personne soignée[1] ». Mais ce n’est pas toujours le cas. Certains tests, interventions ou traitements comportent plus de risques que d'avantages, ou ne présentent aucun avantage significatif pour la personne. « Pour savoir si un soin est réellement approprié pour soi, il faut poser des questions », suggère d’emblée le Dr René Wittmer.

Médecin de famille à Montréal depuis une dizaine d’années, le Dr Wittmer est aussi président de la campagne Choisir avec soin Québec, qui s’attaque aux phénomènes de surmédicalisation, de surtraitement et de surdiagnostic. Pour aider les patients à y voir clair au moment de se faire prescrire un test ou d’entreprendre un traitement, Choisir avec soin propose 4 grandes questions visant à lancer la discussion avec son professionnel de la santé. Ces questions permettent d’envisager toutes les alternatives, pour en arriver à des décisions éclairées.

Question 1 - Ai-je vraiment besoin de cet examen, de ce traitement ou de cette intervention?

La réponse à cette question doit reposer sur des données fiables et des preuves scientifiques. À cet effet, Choisir avec soin met à la disposition des cliniciens une liste de différents examens et traitements couramment utilisés, mais dont la nécessité ou l’efficacité n’est pas étayée par la science. « Par exemple, faire un bilan de santé annuel chez une personne en bonne santé, sans facteur de risque, n’a pas montré d’avantages prouvés. Pourtant, cette pratique reste fréquente », illustre le Dr Wittmer.

D’autres traitements sont parfois encouragés pour de mauvaises raisons, notamment à cause de la publicité ou d’influences commerciales. Pensons à certains traitements pour le diabète, qui permettent aussi de perdre du poids. Dans un billet paru au printemps 2025, le Dr Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec, dénonçait d’ailleurs ces pratiques commerciales qui font miroiter des « solutions miracles » aux patients et encouragent ceux-ci à se faire prescrire un traitement qui n’est peut-être pas approprié à leur situation.

Pertinent ou pas? Des ressources pour trancher

Pour de l’information rigoureuse et des pistes de solutions sur une foule de sujets de santé, découvrez les outils destinés au public conçus par l’équipe de Choisir avec soin.

Visitez aussi la section S’informer en santé du site Web du Collège des médecins du Québec.

Question 2 - Quels sont les côtés négatifs?

De façon générale, il est bon de se rappeler que chaque examen ou traitement comporte des risques. Ainsi, un test superflu n’est pas forcément inoffensif. Il peut entraîner des effets non désirés (exposition inutile à de la radiation, complications de toutes sortes), susciter de l’anxiété à cause de trouvailles fortuites – sans lien avec le problème initial et la plupart du temps bénignes –, ou compliquer l’accès à des assurances (voyages, invalidité, etc.).

Il en va de même pour la prise de médicaments, dont plusieurs comportent de longues listes d’effets secondaires. Le fait de revoir régulièrement sa liste de médicaments et de se demander, avec son professionnel de la santé : « Est-ce que ce nouveau symptôme que je ressens pourrait être causé par un médicament que je prends déjà? » constitue un bon réflexe. On peut ainsi éviter la « cascade médicamenteuse », soit la prescription d’un médicament pour corriger les effets indésirables d’un autre, et ainsi de suite. Le Dr Wittmer donne l’exemple des anti-inflammatoires : « Puisqu’ils peuvent faire grimper la tension artérielle, le réflexe pourrait être de vouloir ajouter un antihypertenseur. On se retrouve donc avec une deuxième substance qui vise à enrayer les effets indésirables de la première. » Bien que la prise de certains médicaments soit parfois incontournable, prendre conscience de leurs effets potentiellement négatifs représente un premier pas vers des soins plus pertinents.

Surconsommation de médicaments : un cocktail risqué

Au Québec, en 2022, environ un tiers des personnes âgées de 65 ans et plus ont réclamé au moins 10 médicaments différents – une des proportions les plus élevées au Canada. De surcroît, plus de la moitié des personnes de 65 ans et plus prenaient au moins un médicament jugé potentiellement inapproprié parmi 4 catégories ciblées (inhibiteurs de la pompe à protons, benzodiazépines, antipsychotiques et sulfonylurées)3.

Parler d’un problème de santé publique n’est donc pas exagéré. Au-delà de la quantité d’ordonnances, certaines classes de médicaments, comme les somnifères et les psychostimulants, sont plus prescrites au Québec qu’ailleurs.

Or, la surprescription comporte de lourdes conséquences sur le plan médical et social. On sait, par exemple, que les personnes aînées qui consomment un cocktail de médicaments sont plus à risque de chuter, d'être hospitalisées, ou de subir les effets néfastes d’une interaction entre les médicaments. 

Question 3 - Y a-t-il des options plus simples ou plus sécuritaires?

La solution à un problème de santé ne vient pas toujours en comprimés. D’autres avenues peuvent être explorées. Informer, conseiller, expliquer sont parfois les interventions les plus puissantes. À cet effet, l’équipe de Choisir avec soin a conçu pour les cliniciens des ordonnances non pharmacologiques pour différentes situations, que ce soit une infection virale ou de l’insomnie, par exemple. Celles-ci fournissent des pistes d’autosoins et précisent les signaux à surveiller et les actions à poser, le cas échéant. « C’est une belle façon d’outiller le patient sans qu’il reparte les mains vides, tout en évitant une prescription de médicament inutile », souligne le Dr Wittmer.

Question 4 - Que se passe-t-il si je ne fais rien?

Se laisser du temps est parfois utile, pour observer l’évolution d’un symptôme ou d’un problème. « Par exemple, si un patient souffre de maux de dos depuis quelques jours et qu’il ne présente pas de critères d’alarme4, on pourrait décider ensemble d’attendre quelques semaines et d’opter pour un traitement conservateur (comme une prescription d’antidouleurs et des séances de physiothérapie), puis de se revoir avant de procéder à des examens d'imagerie », illustre le Dr Wittmer. Dans bien des cas, on évitera ainsi des examens superflus. Bien sûr, c’est en discutant avec son professionnel de la santé qu’on trouvera le juste équilibre.

Un diagnostic… toujours utile?

Avant de formuler un diagnostic, les médecins ont intérêt à procéder avec prudence. Car apposer une étiquette sur un problème de santé est loin d’être anodin pour le patient. « Un diagnostic médical peut aider… mais il peut aussi inquiéter inutilement », estime le Dr Wittmer.

En pédiatrie, une étude a montré que le simple fait de donner un nom précis à un problème bénin, comme le reflux gastro-œsophagien chez un bébé, incitait les parents à demander une médication, même si celle-ci était décrite comme non nécessaire. Autre exemple : celui de l’ostéoporose. Dans une étude, des femmes à qui l’on annonçait une densité osseuse plus faible rapportaient ensuite une moins bonne qualité de vie, et cessaient parfois certaines activités, par peur de se blesser. « L’exercice est pourtant l’un des meilleurs moyens de prévention des fractures », rappelle le médecin.

La clé : mieux communiquer

Dans les faits, la majorité des patients ne tiennent pas à poursuivre des investigations médicales futiles ou à entreprendre des traitements superflus, lorsqu’on prend le temps de leur expliquer pourquoi ceux-ci sont inutiles. « Les personnes qui consultent un professionnel cherchent d’abord à être écoutées, comprises, et veulent à leur tour comprendre leur état. Leur satisfaction dépend beaucoup plus de la qualité de la communication que du fait de se voir remettre une ordonnance ou une requête à la fin d’une consultation », croit le Dr Wittmer.

Lors d’une consultation médicale, les quelques minutes supplémentaires consacrées au dialogue sont un investissement rentable. Pour le clinicien, c’est une occasion de mieux cerner les besoins, les valeurs et les priorités de la personne devant soi. Pour le patient, c’est une façon de devenir plus proactif face à son parcours de soins. Et c’est ainsi qu’on en arrive à faire de meilleurs choix… pour soi et pour le réseau de la santé!

Une approche gagnante

Lancée en 2024 par le Collège québécois des médecins de famille, la Déclaration de Montréal sur les soins de santé pertinents a déjà été endossée par 33 organisations, dont le Collège des médecins du Québec. Son ambition : faire rayonner les principes de pertinence, de qualité et d’accessibilité des soins à travers tout le réseau de la santé et des services sociaux.

En misant sur des soins pertinents, les ressources publiques en santé sont mieux utilisées et tout le monde y gagne :

  • les équipes soignantes sont moins sous tension;
  • la patientèle devient partenaire active de ses soins;
  • les décisions peuvent être prises en toute connaissance de cause;
  • la santé et la qualité de vie sont priorisées;
  • la planète se porte mieux, puisqu’on consomme moins de ressources.

1 Au Canada, une étude révèle qu’environ un tiers des examens, traitements et interventions médicales réalisés ne seraient pas nécessaires. Données de l’Institut canadien d’information sur la santé.

2 Collège québécois des médecins de famille : https://www.cqmf.qc.ca/2024/04/03/declaration-de-montreal-sur-les-soins-de-sante-pertinents/

3 INESSS, « Portrait de la polypharmacie et de l’usage de médicaments potentiellement inappropriés chez les personnes âgées au Québec », 13 mai 2024.

4 Exemples de critères d’alarme dans ce contexte : une nouvelle incontinence urinaire; perte de force importante dans les jambes qui accompagne le mal de dos; perte de poids inexpliquée; fièvre; antécédents de cancer.