Crise des surdoses d’opioïdes, l’autre épidémie
Davantage médiatisée en Colombie-Britannique, la crise des surdoses d’opioïdes sévit également au Québec. Et elle pourrait même gagner en ampleur au cours de la prochaine année. Selon la Dre Marie-Ève Goyer, cheffe médicale des services en dépendance et en itinérance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, c’est « du jamais vu » au Canada.

Contrairement à d’autres fléaux de santé, les opioïdes fauchent la vie de jeunes personnes, qui souvent étaient considérées en bonne santé par ailleurs. « C’est un échec sociétal. Je comparerais cela à lorsque, dans les années 1980, les médecins voyaient leurs patients mourir du VIH. Malheureusement, je perds des patients chaque mois en raison des opioïdes », ajoute avec émotion la Dre Goyer.
Une épidémie double
Pour comprendre cette épidémie de surdoses, il faut en décortiquer les deux facettes. D’un côté, il y a la communauté médicale, qui y contribue involontairement. Longtemps, les compagnies pharmaceutiques ont fait croire à l’innocuité des opioïdes qu’elles commercialisaient. Les médecins ont donc rédigé de bonne foi des ordonnances d’opioïdes pour des patients qu’ils voulaient soulager de leurs douleurs. Cela a contribué à une surprescription d’opioïdes au fil du temps. Malheureusement, certaines personnes ont glissé dans la dépendance et se sont mises à surconsommer. Le jour où leur médecin a refusé de renouveler leur ordonnance d’opioïdes, une proportion d’entre elles se sont tournées vers le marché illicite.
Et c’est là l’autre facette du problème, puisque ce marché illicite a changé au fil des années. Récemment, des analogues du fentanyl extrêmement puissants y sont apparus. Des personnes habituées de consommer certaines substances se sont retrouvées du jour au lendemain hospitalisées, car le produit qu’elles avaient consommé avait été mélangé à d’autres substances, dont le fentanyl. Que ce soit le professionnel qui prend occasionnellement de la cocaïne ou le jeune qui consomme de l’ecstasy lors d’un « rave », personne n’est à l’abri. La Dre Goyer est catégorique sur ce point : « Beaucoup de contaminants se retrouvent dans toutes sortes de drogues. C’est devenu une roulette russe pour les consommateurs. La situation est extrêmement inquiétante au Québec. »
Des traitements prometteurs
Heureusement, il est maintenant démontré que certaines interventions de santé publique aident à prévenir les décès attribuables aux surdoses.
Il existe des traitements hautement efficaces, qu’on appelle les traitements agonistes opioïdes (TAO). On parle ici de la méthadone ou de la buprénorphine-naloxone, entre autres. Les TAO empêchent les symptômes de sevrage et saturent les récepteurs MU de la personne en traitement. On peut les administrer sous plusieurs formes : par voie orale, sous forme dépôt ou sous forme injectable.
L’équipe de la Dre Goyer a été la première à implanter au Québec le traitement par agonistes opioïdes injectables, soit de l’hydromorphone (dilaudidMC) ou de la diacétylmorphine (héroïne médicale)1. Les gens viennent 2 à 3 fois par jour pour s’injecter le traitement sous supervision.
Cela leur évite de consommer des produits illicites et permet de réduire les nombreux méfaits associés à la consommation. Pour l’instant, il s’agit de la seule clinique offrant ce service (à ne pas confondre avec les services d’injection supervisés où les personnes viennent s’injecter des substances illicites n’ayant pas comme objectif de traiter la dépendance).
L’accès à la naloxone, avec une formation appropriée, est aussi crucial. Antidote aux surdoses d’opioïdes, la naloxone peut s’administrer par injection intramusculaire ou à l’aide d’un vaporisateur nasal. Des trousses sont désormais disponibles gratuitement dans toutes les pharmacies participantes du Québec et auprès de certains organismes communautaires. Les apprenantes et apprenants en médecine peuvent la recommander et même l’inscrire sur une ordonnance, ce qui va inciter le pharmacien à délivrer la substance.
Procurez-vous une trousse de naloxone et traînez-la toujours avec vous. Cette simple mesure de prévention pourrait sauver des vies!
Le CMQ et les ordres professionnels en santé mobilisés
Au cours des dernières années, le Collège des médecins, l’Ordre des pharmaciens, l’Ordre des dentistes et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec se sont mobilisés face à la crise. Le comité opioïdes interordres a jeté les bases d’un programme de surveillance et énoncé plusieurs objectifs dans son plan stratégique, dont ceux-ci :
- promouvoir des habitudes de prescription responsables et sécuritaires;
- faire connaitre les bonnes pratiques en matière d’évaluation et de traitement de la douleur;
- sensibiliser le public;
- encourager la formation;
- stimuler la collaboration interprofessionnelle et la collaboration entre réseaux.
Les lignes directrices pour le traitement du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes ont également été mises à jour en 2020.
Sur le plan de la formation des médecins, le CMQ (via le comité des études médicales et de l’agrément) travaille actuellement avec ses partenaires afin que chacune des facultés de médecine offre un cursus obligatoire en dépendance. Depuis quelques années, une formation obligatoire a d’ailleurs été implantée à l’Université de Montréal, où les étudiantes et étudiants en médecine apprennent à prescrire les TAO.
La priorité : s’assurer que la patiente ou le patient reçoit le traitement requis par son état, tout en évitant de créer une dépendance ou de contribuer au maintien de cette dépendance.
1 Pour en savoir davantage : Marie-Ève Goyer et Annie Galarneau, « Pour le trouble de l’usage des opioïdes : le traitement par des agonistes en injection », Le Médecin du Québec, vol. 56, no 5, mai 2021, p. 53-57.
Publication originale de l’article : Vocation M.D.– Janvier 2022