Projet de loi 106
Notes d’allocution du président du CMQ pour la Commission de la santé et des services sociaux du mardi 27 mai 2025 à l'Assemblée nationale du Québec.

Je vous remercie de donner l’occasion au Collège des médecins du Québec d’exprimer son point de vue sur le projet de loi 106.
À mes côtés la Dre Nathalie Saad, pneumologue et vice-présidente du Conseil d’administration et le Dr Guy Morissette, médecin de famille, également membre du Conseil d’administration du CMQ.
Nous venons porter plusieurs messages, aujourd’hui, aux parlementaires, sur le projet de loi 106. Nous parlerons de responsabilité collective, d’indicateurs de performance, de qualité et d’accès aux soins. Notre mémoire formule 6 recommandations.
Mais avant tout, je voudrais insister sur une chose : nous devrons tous travailler ensemble pour le bien commun.Mauril Gaudreault, M.D., président du CMQ
Pour le Collège, plusieurs choses ne sont pas souhaitables actuellement autour de ce projet de loi. Il faut les nommer, si nous voulons avoir une conversation constructive. Par exemple :
- prétendre que les médecins ne travaillent pas suffisamment;
- blâmer les médecins pour les ratés du réseau;
- se réjouir qu’on attendait le projet de loi 106 depuis plusieurs années;
- ou encore lier la performance des médecins à leur rémunération.
En revanche, ce qui serait souhaitable, c’est :
- cesser de dénigrer les médecins;
- écouter les chercheurs et considérer ce qui se fait ailleurs;
- élargir la responsabilité collective à tous les acteurs du réseau;
- mobiliser tout le réseau vers la réussite de la première ligne, notamment;
- et réfléchir à l’idée d’états généraux en santé.
Si on veut arriver à quelque chose de positif pour la population, avec ce projet de loi, avec tout ce qui se dit dans les médias, il faut à notre avis absolument changer la conversation.
J’aimerais rappeler, qu’avec certaines réserves, le Collège des médecins a appuyé toutes les réformes en santé proposées par le ministre Christian Dubé :
- le projet de loi visant à réduire le recours à la main-d’œuvre indépendante;
- le projet de loi visant à rendre le réseau de la santé plus efficace;
- la création de Santé Québec;
- et le projet de loi visant à favoriser la pratique de la médecine dans le secteur public.
Chaque fois, nous avons proposé des amendements constructifs au profit du public et visant des conditions de pratique adéquates pour les médecins.
Ça s’inscrit dans notre mandat de protéger le public et de veiller à une médecine de qualité.
C’est pourquoi nous avons été irrités que le ministre laisse entendre, il y a une dizaine de jours dans l’espace public, que si le Collège prenait le parti des médecins, il ne prenait pas celui des patients.
Il faut des médecins et des professionnels en bonne santé, bien outillés, dans des infrastructures adéquates, pour prendre en charge et soigner les patients.Mauril Gaudreault, M.D., président du CMQ
Nous concevons qu’il y a beaucoup d’argent d’investi dans le réseau de la santé et que la population québécoise puisse avoir l’impression que le pacte social avec les médecins bat de l’aile.
C’est pourquoi, 55 ans après la mise en place du réseau actuel de santé et de services sociaux, il faut une introspection collective.
Le statu quo ne peut plus durer!
On navigue à vue! Un projet de loi succède à un autre, pour régler un problème à la fois, le plus important de l’heure à chaque fois.
S’il est vrai que les médecins ont un rôle à jouer dans l’amélioration de l’accès aux soins, les médecins font aussi partie intégrante de la solution.
Sur le fond du projet de loi 106, le Collège ne croit pas que ce soit une bonne chose de lier la rémunération des médecins à leurs performances.
Les 3 experts indépendants du gouvernement écrivent dans leur rapport que ça n’a pas fonctionné ailleurs. Le piège serait de confondre quantité et qualité.
C’est pourquoi à notre avis :
Ce qu’il faut mesurer, ce sont les performances du réseau avec des objectifs populationnels.
Ce qu’il faut créer, c’est un nouveau modèle d’organisation de la première ligne où la population a accès à des soins de qualité en temps opportun.
Et ce qu’il faut financer, ce sont les soins et les services de toute la première ligne.
Notre position repose donc sur 2 facteurs principaux :
- Premièrement, nous ne voulons pas que les patients soient bousculés, lors de leurs consultations médicales, par des objectifs de rendement. Les impacts seraient particulièrement marqués chez les populations vulnérables et marginalisées. Le corps, le patient, c’est un ensemble qu’on ne peut pas traiter comme les pièces détachées d’une voiture.
- Deuxièmement, on ne peut pas mesurer la performance des médecins alors qu’ils ne sont pas toujours adéquatement outillés, par exemple lorsque beaucoup d’entre eux œuvrent dans des établissements désuets, à l’informatique déficiente ou aux blocs opératoires fermés faute de personnel.
Si les médecins ne sont pas responsables des conditions de pratique, on ne peut à notre avis leur imputer les ratés du réseau. Ça, c’est le bout qui concerne les décideurs et les gestionnaires du réseau de la santé.
C’est pourquoi nous réclamons que la responsabilité collective prévue au projet de loi – et que nous prônons depuis des années – englobe aussi les autres professionnels de la santé, de même que les divers acteurs du réseau.Mauril Gaudreault, M.D., président du CMQ
Les décisions et les actions des fonctionnaires et des gestionnaires ont des impacts directs sur les soins aux patients, sur les examens médicaux, sur le suivi des résultats de tests et sur les soins à domicile. D’autant plus, avec les coupures budgétaires qui ont été imposées.
Le projet de loi 106 est flou sur ses objectifs, les délais et les indicateurs qui seront utilisés pour mesurer la performance du réseau ou des médecins. Et il n’a pas été élaboré en tenant compte de l’avis des partenaires du réseau.
Il est apparu comme cela, sans avertissement, dans le cadre des négociations pour le renouvellement des ententes-cadres avec les fédérations médicales. Cela nous préoccupe.
En revanche, au Collège, nous ne sommes pas inquiets de la qualité globale de la pratique des médecins au Québec.
Ce qui nous inquiète, ce sont les impacts sur l’accès aux soins, si la détérioration actuelle des conditions de pratique devait se poursuivre.
C’est pourquoi nous insistons pour que l’on donne suite aux recommandations principales des experts sur le financement public de soins et de services de première ligne, soit :
- élargir la couverture offerte par les professionnels non-médecins;
- questionner la place du privé en santé;
- valoriser les professions des soins et services de première ligne pour les rendre plus attractives;
- diversifier les modes de rémunération, comme la capitation.
L’un des auteurs du rapport sur les soins de première ligne dit d’ailleurs que : « plus il y a de professionnels autour de lui ou elle, plus la capacité de prise en charge du médecin augmente! »
Bien des soins en première ligne ne nécessitent pas de visite chez le médecin. Or, les autres professionnels de la santé se font rares en première ligne. Et le projet de loi 106 ne concerne que les médecins, comme le dit son titre.
Nous recommandons donc que le titre du projet de loi 106 soit modifié pour Loi visant principalement à instaurer la responsabilité collective quant à l’amélioration de l’accès aux soins et services de santé.
Enfin, on ne peut désincarner un projet de loi du contexte social dans lequel il s’inscrit. Le Québec a changé depuis les années 70. Les patients ont changé aussi. Ils sont atteints de plusieurs maladies à la fois. Les maladies chroniques ont pris beaucoup d’ampleur.
La profession médicale elle aussi a changé. Le projet de loi 106 doit être contemporain dans son appréciation du corps médical et de l’état de santé de la population.Mauril Gaudreault, M.D., Président du CMQ
Le Collège des médecins souhaite que le projet de loi 106 :
- reprenne les recommandations du rapport d’experts indépendants sur la mise en place d’indicateurs de performance fondés sur la science et axés sur la création de valeur;
- assure un financement des soins et services de première ligne conséquent avec les besoins populationnels et les ressources requises;
- étende le principe de responsabilité collective aux autres professionnels de la santé et à l’ensemble des acteurs du réseau;
- et ne lie pas la rémunération des médecins à leur performance.
Le Collège collaborera avec le gouvernement pour la mise en place de toute mesure qui s’inscrira dans sa mission de protéger le public et de veiller à une médecine de qualité.
En terminant, je veux à nouveau insister sur le fait que nous devrons tous travailler ensemble pour le bien commun.
Je vous remercie pour votre écoute. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Note importante - La version prononcée de l'allocution a préséance sur sa version écrite.