Le mentorat en médecine : pour tout ce qui ne s’apprend pas dans les livres!
Devenir médecin, c’est bien plus que de la théorie. Au-delà du programme de formation et des connaissances techniques, tout un pan des apprentissages se forge par l’observation, le partage d’expériences et l’interaction humaine. Le mentorat offre un accès direct à une partie de ces savoirs implicites. Et nombreux sont celles et ceux qui croient en ses vertus!
Imaginez pouvoir discuter avec une personne d’expérience, qui a connu sensiblement le même parcours que vous. Quelqu’un qui, en plus de vous offrir une oreille attentive, peut vous prodiguer quelques trucs et conseils, sans jugement, gratuitement et en toute confidentialité. Le mentorat, c’est tout cela… et plus encore!
Pour des médecins encore en formation, en début de pratique ou en transition professionnelle, avoir un mentor permet de s’accorder un temps d’arrêt, malgré un horaire chargé, pour réfléchir et faire le point. C’est pouvoir poser des questions, partager des doutes, des joies et des craintes, et se projeter dans sa carrière. Pour les mentors, l’expérience est tout aussi enrichissante : une occasion de rester en contact avec la jeune génération et de donner au suivant en mettant à profit son expérience.
La Dre Andrée Sansregret en sait quelque chose. Il y a 20 ans, lorsqu’elle était résidente à l’Université de Montréal en obstétrique-gynécologie, deux mentors l’ont accompagnée. La première l’a aidée à développer son leadership et ses compétences en gestion de crise. Le second, lui, a laissé une empreinte plus intime : en plus de lui transmettre une expertise pointue qu’elle partage aujourd’hui, il a marqué sa trajectoire personnelle.
« À l’époque, ce n’était pas si fréquent pour les femmes d’avoir des enfants durant leur résidence. Mon mentor m’a soutenue dans ce projet en valorisant l’importance de l’équilibre entre les aspirations professionnelles et la vie personnelle. D’ailleurs, il a mis au monde mes trois enfants », confie-t-elle. Au fil des années, une solide amitié s’est construite autour de cette relation privilégiée.
Un précieux soutien… sans pression ni évaluation
Aujourd’hui clinicienne, professeure et codirectrice de l’enseignement au CHU Sainte-Justine, la Dre Sansregret redonne à son tour, dans le cadre du programme de mentorat qu’elle a contribué à mettre sur pied au Département d’obstétrique-gynécologie de l’Université de Montréal. « On ne va pas se le cacher : le programme de résidence est difficile. C’est pourquoi on encourage fortement nos résidents à se choisir un mentor », explique-t-elle. À ce jour, elle a mentoré une douzaine de résidents, avec qui elle a noué des liens durables. Avec ses mentorés, elle mise sur la transparence : « Il nous arrive tous de faire des erreurs, moi y compris, et je crois que les résidents ont besoin de l’entendre. Nous sommes tous humains et on apprend de chaque expérience. »

Cette franchise a plu d’emblée à la Dre Ariane Bergeron : « Je voulais une mentore qui allait me donner l’heure juste. Aussi, si je ne fais pas la bonne chose, je veux qu’on me le dise! » De son propre aveu, cette résidente de 3e année en obstétrique-gynécologie – qui mène parallèlement une carrière militaire – carbure à l’adrénaline. Un trait que la Dre Sansregret a vite perçu chez elle et encouragé : « Dès ma première année, lorsqu’on travaillait ensemble, elle me proposait des défis, toujours dans un cadre sécuritaire, bien sûr. Ça me motivait », raconte la résidente.
Pour la Dre Bergeron, le mentorat représente un « safe space » [espace sécuritaire], un cadre où l’on peut se montrer vulnérable et discuter de situations plus difficiles, sans crainte d’être jugé ni souci d’être évalué. « En médecine, on vit des choses que peu de gens autour de nous vivent. On peut perdre des patients, avoir des complications… L’avantage avec les mentors, c’est qu’ils l’ont probablement déjà vécu. »
L’accompagnement peut prendre différentes formes : courriel, appel, texto, rencontre… Après une nuit de garde mouvementée, il n’est pas rare que la résidente écrive un mot à sa mentore. « Juste de savoir qu’elle est là, que je peux lui raconter ce que j’ai vécu, ça fait du bien! »

Du mentorat conçu pour les médecins de famille
La culture du mentorat s’est particulièrement implantée en médecine de famille. Des organisations comme la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et le Collège québécois des médecins de famille (CQMF) ont leurs programmes respectifs de mentorat depuis environ une décennie. Et la réputation de ceux-ci n’est plus à faire.
Créé en 2014, le programme de mentorat de la FMOQ visait d’abord à favoriser l’intégration des médecins en début de pratique. Au fil du temps, il s’est ouvert aux résidents, aux médecins nouvellement établis au Québec et aux cliniciens en transition professionnelle. « Le programme est axé sur le savoir-être plutôt que sur les connaissances », explique la Dre Louise Fugère, directrice adjointe de la formation professionnelle à la FMOQ.

Chaque automne, environ 25 dyades sont formées et s’engagent pour une année. Une première formation en présentiel permet aux mentors et mentorés de faire connaissance et de préciser les rôles et les attentes. Puis, les mentorés vont sur une plateforme en ligne pour consulter les profils de différents mentors. Il leur revient de communiquer avec le mentor de leur choix pour établir la relation. Une fois les dyades constituées, on les encourage à se rencontrer toutes les 4 à 6 semaines.
Lors de ces rencontres, le mentoré est maître de l’ordre du jour. « Le mentoré a les mains sur le volant et choisit la destination. Le mentor, lui, connaît la carte routière. Il sait quelle route éviter, quels pièges se cachent dans le détour », illustre Catherine Desautels, chargée de programmes à la FMOQ. L’organisation de la pratique, l’équilibre entre travail et vie personnelle, le cheminement professionnel, de même que les situations cliniques ou relationnelles difficiles arrivent en tête des sujets les plus fréquemment discutés.

À mi-parcours, une formation en virtuel aide mentors et mentorés à faire le point sur leur relation afin de rester alignés sur les besoins présents. Puis, au terme de l’année, les participants évaluent leur expérience. Or, la plupart du temps, la fin du programme ne signifie pas la fin de la relation. « Lors du 10e anniversaire, nous avons rencontré des dyades qui restent en contact depuis une décennie. Ils sont devenus des complices, des collègues qui s’épaulent », raconte avec fierté la Dre Fugère.
Un coup de pouce pour gagner en confiance
Formé en région parisienne, le Dr Arnaud Brajeul avait déjà 5 ans de métier lorsqu’il a posé ses valises au Québec en 2019. Dès son stage d’intégration, ses superviseurs lui ont parlé du programme de mentorat de la FMOQ, qu’il a suivi la même année. « J’avais besoin d’être rassuré sur ma pratique, de pouvoir poser des questions », confie-t-il.
Auprès de son mentor, un médecin retraité au parcours diversifié, il a obtenu non seulement des réponses aux questions pratiques (facturation, assurances, gestion du temps), mais aussi de précieux conseils sur le plan humain. « Par exemple, quand j’ai commencé à suivre des centaines de patients, je ressentais fortement le poids de la responsabilité. J’avais de la difficulté à tracer une limite. Mon mentor m’a fait comprendre que je n’avais pas à être disponible 24 heures sur 24. Il m’a rappelé que les patients sont aussi responsables de leur santé », raconte-t-il. Un enseignement simple, mais essentiel, qui a aidé le médecin – devenu ensuite jeune père de famille – à trouver un équilibre.
Le Dr Brajeul est aujourd’hui coresponsable du GMF Ahuntsic-Villeray et responsable des soins à domicile au CLSC de Montréal-Nord. En 025, il a décidé de se réinscrire au programme de la FMOQ… en tant que mentor, cette fois-ci. « En 6 ans, j’ai gagné en confiance, en assurance. Maintenant, c’est à mon tour de donner », affirme celui qui a toujours conservé un lien avec son mentor. « On n’oublie pas ceux qui nous ont aidés », résume-t-il simplement.

Adoucir les transitions professionnelles
Pour sa part, la Dre Dominique Deschênes s’est inscrite au programme de mentorat du CQMF il y a 3 ans, à un moment charnière de sa carrière. « Ma situation familiale ne me permettait plus de faire des accouchements, mais c’était difficile de renoncer à l’obstétrique après 20 ans de pratique, alors que ce domaine me passionne toujours. Ma mentore, qui était passée par là, m’a aidée à faire la transition en douceur », raconte-t-elle.
Un beau retour du balancier pour celle qui, en 2012, faisait justement partie des instigatrices de ce même programme, alors qu’elle présidait le CQMF. « À l’époque, le mentorat était un concept nouveau pour nous, mais nous sentions qu’il y avait là une belle piste pour soutenir la relève », se souvient-elle. Avec ses collègues, les Dres Sophie Galarneau et Éveline Hudon, et 5 autres médecins de différentes générations, elle avait alors épluché la littérature scientifique et fait appel à Luc Côté, chercheur en pédagogie des sciences de la santé, afin de concrétiser l’idée.

Aujourd’hui, la Dre Deschênes – qui pilote toujours le programme – considère que celui-ci fait partie de l’ADN du CQMF. Et son succès ne se dément pas : au printemps, lors de l’ouverture des inscriptions, les places se comblent en quelques semaines. Désormais ouvert à tout médecin membre du CQMF vivant une transition professionnelle ou personnelle, il accompagne chaque année une vingtaine de dyades.
Bien qu’il comporte des similarités avec celui de la FMOQ (durée de 12 mois, rencontres aux 4 à 6 semaines, questionnaires d’évaluation), le programme du CQMF possède ses particularités. D’une part, le jumelage y est assuré par une coordonnatrice, Sophie Juignier, qui tient compte des besoins et des objectifs du mentoré. D’autre part, les mentors se réunissent chaque saison au sein d’une communauté de pratique, un espace d’échanges et de soutien mutuel qui, selon la Dre Deschênes, contribue au succès de l’expérience. À la FMOQ, les mentors ont plutôt l’occasion de partager leurs expériences et de s’entraider lors d’une activité de codéveloppement professionnel.
Des bienfaits sur la santé mentale
Les retombées du mentorat sont multiples et concrètes. À la FMOQ, les mentorés constatent unanimement des effets positifs sur leur savoir-être et leurs attitudes professionnelles, ainsi qu’une diminution du stress lié aux attentes de performance dans leur milieu. Les mentors, eux aussi, en tirent des bénéfices, dont un sentiment d’utilité et un renforcement de leur identité professionnelle. Selon Catherine Desautels, l’effet protecteur sur la santé psychologique est souvent mentionné par les mentorés, qui ont pour objectif de prévenir l’épuisement professionnel et d’atteindre un meilleur équilibre de vie.
Des préoccupations bien légitimes, si l’on se fie aux chiffres d’une étude américaine parue en 2012. Celle-ci révélait que le risque pour les médecins de présenter des symptômes d’épuisement professionnel était de 37,9 %, comparativement à 27,8 % chez l’ensemble des travailleurs. Et c’était bien avant la pandémie…
46 % des médecins canadiens rapportent des niveaux élevés d’épuisement professionnel. Chez les femmes, cette proportion grimpe à 49 %.
(source : Association médicale canadienne, 2025)
60 % des médecins résidents québécois présentent des symptômes d’épuisement professionnel.
(source : Fédération des médecins résidents du Québec, 2023)
Du côté du CQMF, la Dre Deschênes estime que le mentorat répond à un besoin fondamental des cliniciens : se sentir en sécurité psychologique, c’est-à-dire pouvoir s’exprimer sans crainte d’être jugé. Elle se réjouit d’ailleurs que le mentorat soit désormais reconnu comme une activité de formation continue, donnant droit à des crédits pour les médecins1. Mais l’impact va bien au-delà des simples crédits : « La littérature montre que l’effet du mentorat sur le développement personnel et professionnel dure entre 5 et 7 ans, même si la relation ne se poursuit pas au-delà de 12 mois. »
La Dre Sansregret pense également que le mentorat peut contribuer à prévenir l’épuisement et à entretenir une bonne santé mentale. Mais, à son avis, le problème reste plus profond. « Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. La réalité est difficile pour les cliniciens en pratique. Si je dis à un mentoré que, même pour moi, ça ne va pas toujours bien, mon but n’est pas de le décourager, mais qu’on puisse se poser la question ensemble : comment faire en sorte que, lorsque cette personne sera arrivée là où je suis, les choses aillent mieux? » Le rôle de médecin ne sera jamais facile, d’où l’importance de dire les choses franchement.
Futur médecin cherche mentor… quelques conseils
Lorsqu’on débute en médecine, chercher un mentor peut sembler intimidant. Pour aiguiller les étudiants et résidents, l’Association of Medical Colleges2 formule ces quelques conseils :
- Rechercher des modèles qu’on admire et auprès desquels on veut apprendre;
- Établir des relations avec des médecins qui pourraient devenir des mentors;
- Poser des questions sur le parcours professionnel des mentors, les défis qu’ils ont dû relever et les leçons qu’ils en ont tirées;
- S’ouvrir à la possibilité d’avoir plusieurs mentors qui offrent des points de vue uniques;
- Maintenir des liens avec les mentors tout au long de ses études.
Et pour celles et ceux qui craindraient d’essuyer un refus, la Dre Sansregret se fait rassurante : « À ma connaissance, aucun médecin dans mon entourage n’a refusé d’être mentor. Les médecins sont généralement honorés qu’on les choisisse. »
Même son de cloche du côté de la Dre Bergeron, qui incite ses pairs à se lancer, mais avec un conseil clé : ne pas se précipiter pour choisir un mentor. « Souvent, lors des stages, tout le monde veut le patron le plus connu. Mais ça vaut la peine d’apprendre à connaître les autres superviseurs… Ils ont tous quelque chose à nous apporter. » Elle rappelle aussi que différents mentors peuvent s’imposer, à différentes étapes du parcours. « Avoir plusieurs mentors, c’est tout à fait possible et normal, pour répondre à des besoins variés : orientation professionnelle, volet technique, dimension personnelle, etc. »
Le Dr Brajeul, pour sa part, croit qu’il n’est jamais trop tôt pour se trouver un mentor. « C’est toujours utile de pouvoir parler de ce qu’on vit. Durant la résidence, souvent, on court partout et on risque de se brûler. Le mentorat permet de s’arrêter et de réfléchir : qu’est-ce qui me plaît vraiment? Est-ce que ma pratique correspond à mes valeurs, à mes aspirations? » Son conseil pour la relève est clair : prendre du plaisir dans son travail et ne jamais s’oublier. « Sans cela, prévient-il, l’épuisement n’est jamais loin. »
L’offre de mentorat varie selon les programmes d’études, les établissements et les étapes de votre parcours. Renseignez-vous auprès de votre université pour explorer les possibilités!
Quelques exemples inspirants :
- À l’Université Laval, la Faculté de médecine a lancé en 2023 un programme de mentorat s’adressant aux étudiants nouvellement arrivés au Québec, afin de favoriser leur intégration.
- À l’Université de Sherbrooke, au niveau prédoctoral, le programme de mentorat est imbriqué à l’activité « Répondre aux défis de la pratique professionnelle », obligatoire pour les cohortes durant leurs 4 années d’études, et ce, dans les 4 sites de formation (Sherbrooke, Saguenay, Montérégie et Moncton).
- À l’Université de Montréal, l’offre de mentorat existe dans la plupart des programmes de résidence. Avoir un mentor est fortement encouragé, mais non imposé.
- À l’Université McGill, au niveau prédoctoral, le mentorat est intégré au cours « Médecin apprenti » durant les 4 années du premier cycle. Au niveau postdoctoral, l’offre de mentorat varie selon le programme choisi.
Des ressources pour aller plus loin
- Association médicale canadienne – Le mentorat dans le secteur de la santé
- FMOQ – Programme de mentorat
- CQMF – Bien que son programme de mentorat ne soit pas ouvert aux résidents, la section Relève de son site Web contient plusieurs ressources conçues pour les apprenants.
- Mentorat Québec – Depuis 2002, cet organisme promeut la culture du mentorat au Québec et fait progresser les connaissances dans ce domaine.
1 Les activités de mentorat offertes par des organismes accréditeurs (FMOQ, FMSQ, facultés de médecine québécoises, Médecins francophones du Canada et CQMF) donnent droit à des heures de formation continue. Les médecins qui participent à une activité de mentorat dispensée par un autre organisme doivent soumettre une demande au CMQ, qui statuera sur l’attribution de crédits de formation.
2 Citée par l’Association médicale canadienne, Le mentorat dans le secteur de la santé, page consultée le 7 octobre 2025.